Une terre sacrée. Un nom qui évoque, de par le monde, le plaisir des papilles, l'émerveillement du palais. Les plus belles robes. Les nez les plus fins. Des corps délicats ou puissants, des équilibres qui bouleversent nos sens. Un saint règne sur cet empire des sensations car, il faut l'avouer, c'est vers des cieux bien lointains que nous emmènent ces nectars aux noms équivoques de Château Cheval-Blanc, Château Angélus, Château Pavie ou Château Beauséjour.
Qu'ont-elles donc de si précieux ces terres de Saint-Émilion ? Quelle est l'adéquation mystérieuse qui aboutit à la naissance des vins les plus nobles ? À toutes ces questions, malheureusement, je n'apporterai pas de réponse. Pourtant, il n'y a qu'à promener notre regard sur ces étendues de vignes pour comprendre que ces terres ont quelque chose d'exceptionnel.
Il faut aller dans le Bordelais pour comprendre à quel point les vignes font partie à la fois du paysage et de la vie girondine. L'homme a modelé la Nature pour en récolter tous les meilleurs fruits. Les paysages du vignoble de Saint-Émilion, loin d'échapper à cette construction savante du terroir, l'accentuent même. Les vignobles s'étendent, sans limites, affichant dans cette période automnale les tons d'or et de sang qu'on voit habituellement sur les forêts de caducs. Au milieu de ces arbres à vins, constitués en rangées disciplinées, entre les rangs infinis de ces cépages admirables s'élèvent les châteaux qui consacrent la domination de l'Homme sur ces territoires ordonnés. Ils sont aussi le reflet du prestige que certaines familles ont pu tirer des grappes miraculeuses. Châteaux et vignes rythment ainsi le paysage de Saint-Émilion : maillage magique où se produisent les meilleurs vins.
Saint-Émilion : une appellation et un village. Car, on l'oublie trop souvent, Saint-Émilion est avant tout l'une des plus belles cités médiévales de l'antique Guyenne.
Dans le village haut, le plus grand édifice de la ville nous accueille : il s'agit de la collégiale, remarquable notamment pour son portail, sur le côté gauche ; malheureusement, la plupart des personnages ont subi les outrages du temps. À l'intérieur, quelques peintures murales rappellent que les églises étaient autrefois peintes. Attenant à la collégiale, le cloître est encore en bel état.
À proximité s'élève une tour étrange, seule et haute, qui est en fait le clocher de l'église monolithe, creusée entre le VIIIème et le XIIème siècle. La terrasse offre un beau panorama sur les toits de la cité. De nouveau dans les rues, on prend plaisir à se perdre entre les vieilles pierres ; les toits rougis contrastent de belle façon avec la pierre blanche. Dans la ville que l'on pourrait qualifier de basse, le point central est la place du marché ; les portes de l'église monolithe, closes, sont surmontées d'un tympan lui aussi en partie détruit. Autour de la place, quelques boutiques vendent de jeunes ceps, avivant l'espoir de voir pousser dans son propre jardin quelques bouteilles du meilleur cru.
Quelques vignes plus loin, plusieurs sites méritent également un détour. C'est le cas de Castillon-la-Bataille, longeant la Dordogne. Le site est resté célèbre pour sa bataille du 17 juillet 1453 où les troupes françaises vainquirent celles, anglaises, de John Talbot, mettant fin dans les faits - car officiellement, il faut attendre le traité de Picquigny en 1475 - aux affrontements franco-anglais connus sous le nom de guerre de Cent Ans. Une colonne, située en Dordogne, indique même l'endroit où mourut ledit Talbot. Plus au sud, le village de Pujols présente un château, semblable à une grosse bâtisse fortifiée.
Vignoble loué par tous les amateurs de vins, Saint-Émilion recèle d'autres trésors que ses cépages. Les paysages de vignes et la vieille ville de Saint-Émilion valent à eux seuls le voyage. Dépaysement, plaisir des yeux et de la bouche sont les principaux arguments de ce terroir. En somme, un bon prétexte pour ramener quelques bouteilles.