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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 20:30

L’homme sort péniblement de sa bicoque. Sa jambe droite traine toujours, souvenir d’un temps ancien et douloureux. Même son dos se plaint quand il reste debout trop longtemps alors, bien vite, ses yeux alertes repèrent le petit banc de bois qui fait face à la mer. Cette mer, par laquelle il est venu, trente ans plus tôt, de ce rivage de douleurs. Aujourd’hui, la mer est calme. Lui aussi.

De sa petite maison jaune, il entend toujours les flots. Aujourd’hui, ils le protègent, laissent éloignés ces gendarmes qu’il craint toujours de voir débarquer. Fut un temps où ces vagues étaient une prison, une assurance pour ses geôliers. L’ancien bagnard, qui regrette parfois sa pauvre jeunesse, tue le temps en sculptant, puisque la sculpture avait failli le tuer.

L'exil et la consolation
L'exil et la consolation

De l’en-ville, il ne connaît que le nom. Ce n’est pas qu’il n’aime pas la foule, mais à tout prendre il préfère le bruit de la houle. Et puis ces églises qui proclament la vie sacrée, ne l’ont-elles pas, treize ans durant, complètement oublié ? Quand il s’en vient, c’est par les monts qu’il use ses jambes fatiguées. Jamais il ne se perd, et, à des mètres de hauteur, il devine les beautés de l’île aux fleurs.

L'exil et la consolation
L'exil et la consolation

Parfois, il marche sur le sable durant des après-midi entiers. Cette forêt si verte, ces palmiers si nombreux, ce sable si chaud l’émerveillent à chaque pas. Même ce diamant, posé sur l’horizon, semble parfaitement à sa place. Ses pentes abruptes en font un repaire tenace, qu’autrefois des vaisseaux se disputèrent au son des canons.

L'exil et la consolation
L'exil et la consolation

Quelques bateaux de pêche ont pris le rythme de la vague. Ce n’est pas à ceux-là qu’ils pensaient à l’instant, ces frêles embarcations, qui n’ont rien à voir avec les pourvoyeurs de tonnerre du temps de Napoléon. Eux préfèrent le silence, la magie de la ligne qui se tend, les aurores rouges où l’on vend le poisson. Même à ces heures le diamant scintille. Il le sait bien car, quand l’insomnie le prend, ce rocher est un compagnon qui annule le temps.

L'exil et la consolation
L'exil et la consolation

Quand celui lui arrive, il sort quand la nuit dure encore. Quand le soleil se lève, il est près de ses frères de souffrance. Immobiles, hiératiques, ils fixent un point qu’ils imaginent être l’Afrique. Leurs faces blanches rappellent le deuil, de l’autre côté de l’Atlantique. C’est la terre des ancêtres, la terre à tout jamais quittée. La terre qu’ils ont chérie, sous le joug des négriers.

L'exil et la consolation

Alors, pour se souvenir, ils ont formé un triangle. Le vieux passe entre eux, laissant la main errer sur ces corps désormais froids. Les esclaves et le bagnard savent bien le mal que l’homme fait à ses semblables parfois. Seulement, lui, le vieux, regarde aussi derrière. La montagne, l’île adoptée, l’exil devenu refuge, les poèmes et les chants que la douleur a enfantés. Pour ne pas leur faire de peine, par respect il se retourne. Il sourit.

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21 février 2015 6 21 /02 /février /2015 19:00

Mes yeux s’ouvrent tandis que la nuit dure encor. En silence je me lève de ma couche et je revêts ma coule noire. Mes frères, comme moi, s’éveillent. Les regards sont embrumés, l’un des nôtres ayant toussé de manière affreuse toute la nuit. Il ne s’est même pas rendu aux laudes, auxquelles nous avons assisté dans le silence. A notre retour il dormait, et nul n’a osé le réveiller.

 

L’abbé lit la règle. Mes mains tremblent un peu, car le froid est précoce en cette saison. Il désigne les lais et nous attribue les champs. Sitôt sommés, nous exécutons. Deux heures durant je sarcle, tandis que le jour naît. A l’ouvrage je mets du cœur, et je sens mon corps se réchauffer. Toutefois mes doigts s’engourdissent et la corne qui sonne me délivre du mal qui me guettait.

Le mutisme du canon
Le mutisme du canon

Puisse-t-il entendre ces chants, celui à qui nous dédions nos vies. Tandis que mes pauvres jambes se reposent, les ave remplissent mon esprit. Bien vite, le labeur reprend, et la terre humide semble de plus en plus lourde à mes souliers. Le travail de cette demi-acre me laisse un goût amer, car les gerçures du froid ensanglantent mes extrémités de pauvre hère.

Le mutisme du canon
Le mutisme du canon

Une dernière goutte de sueur froide tombe sur la terre qui se découvre féconde. Après de divins remerciements, nous prenons notre repas dans ce réfectoire hors du monde. Le silence est notre seul compagnon ; avec mes semblables, c’est avec les signes de la main que nous communiquons. La vague signifie le poisson, la pincée signifie le sel. La parole est sacrée : quiconque interrompt la lecture, par les regards de chacun est accusé.

Le mutisme du canon
Le mutisme du canon

Après un court repos, et de brillantes louanges, nos vies reprennent leur cours. Rien ne s’accomplit dans la précipitation ; par nos peines quotidiennes, c’est notre salut que nous gagnons. Nous, les convers, nous mettons dans la plus complète humilité. Car, si nos corps souffrent comme ceux des frères tonsurés, nos voix se taisent au chapitre et ne réclament guère que l’espoir d’être sauvés.

Le mutisme du canon
Le mutisme du canon

Dans ce duché de Normandie, mes frères auraient été manants s’ils n’avaient été à Hambye. Certains, bien avisés, délaissent même la bèche pour la plume et déchargent les moines du gérer et du compter. Quant à moi, je puis parfois laisser de côté ma tâche nourricière ; je consacre alors mes heures à la sculpture, mon seul caprice, puisque l’oisiveté est mère de tous les vices.

Le mutisme du canon

Les vêpres terminés, nous mangeons les fruits de notre terre. Puis, la prière vient à nos oreilles, puisque nos yeux ne peuvent la lire. Enfin nous quittons les moines, et nous dirigeons vers nos bâtiments. D’un regard nous nous souhaitons la bonne nuit, puis tirons chacun nos couvertures bien utiles en cet hiver. Demain s’accomplira notre œuvre, comme aujourd’hui et comme hier.

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13 février 2015 5 13 /02 /février /2015 19:00

C’est une étiquette poussiéreuse, sur laquelle il faut passer la main afin de pouvoir lire les lettres capitales. Une année, et les souvenirs qui l’accompagnent, et un lieu - Chablis -, et les promesses d’un régal. L’opercule est déjà retiré, et le cep s’enfonce dans le bouchon. La force physique fait le reste : le vin est libéré.

Bientôt il se répand dans le verre, se love contre la paroi qui, par les reflets, rend à merveille ce jaune pâle doré. C’est le labeur des années qui exhale son parfum et exalte celui ou celle qui y trempera ses lèvres. On le lève et on l’observe, à travers la lumière d’un jour d’été. Léger et frais, le vin rend hommage à son créateur : bientôt il enchante et enivre qui le boit sur l’heure.

Aux pieds des ceps blancs
Aux pieds des ceps blancs

Tout avait commencé en hiver. La vigne orpheline pleurait les fruits disparus. La branche allégée mais la racine lourde, la voici coupée et débarrassée de ses bras inutiles. Les menus travaux et l’attente durant les mois gelés faisaient penser à un monde stérile. Un sommeil de quelques mois tandis qu’en ville, on juge, cave à l’appui, la récolte juvénile.

Aux pieds des ceps blancs
Aux pieds des ceps blancs

Vint alors avril. Les bourgeons qui poussent, le recommencement qui éclot. La rivière sous le pont semble plus vive, les tuiles sous la chaleur se ravivent. Seul le gel brandit son spectre, tel un incorruptible fléau. L’homme a encore à faire : il sélectionne, pareil à un scientifique, le fruit qui donne et le grain parasite. Enfin seules, les grappes choisies peuvent croître sur le chemin du fût béni.

Aux pieds des ceps blancs
Aux pieds des ceps blancs

Bien vite, juin revient. Les verres, de nouveau, s’emplissent du vin jeune qui détient, certes du raisin, mais aussi de l’agrume et des fleurs. Les caves reçoivent les amateurs, le nectar quitte les rives du Serein. La floraison gagne les ponts et les rebords de fenêtre, ainsi que les allées de vignes, comme le sucre gagne alors les grains.

Aux pieds des ceps blancs
Aux pieds des ceps blancs

Tandis que la ville est désertée, le calme ne revient que dans les lieux habités. L’automne arrive, et il faut désormais cueillir. Les sécateurs s’activent, les paniers se chargent. Des femmes et des hommes arrivent, prêts à récolter. Dans ce travail ancestral, les gestes changent peu. L’œil s’aiguise, répétant les savoir-faire des aïeux.

Aux pieds des ceps blancs

Tandis qu’octobre tire à sa fin, l’agitation disparaît. Les ceps allégés retrouvent leur tranquillité. La ville elle-même s’assoupit, sous la garde des deux tours qui surveillent l’entrée. Dans les cuves, le liquide s’affermit ; anonyme, c’est sa force qui le caractérisera. En attendant sa future libération, on peut parcourir les rues automnales : Chablis a encore l’avantage d’être originale.

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 20:30

Au bout de la ligne frétille un goujon. Son combat est désespéré : son avenir réside dans le panier du pêcheur plutôt que dans un hypothétique plongeon. L’hameçon aussitôt replonge, le vers en appât, attirant à lui le prochain repas du midi. L’homme au bout de la canne savoure déjà sa victoire, même s’il relâche, beau joueur, le fruit de ses efforts.

Un peu plus loin est un homme et son chien. L’épagneul promène sa robe rousse au travers des bois que le printemps a rendus vert. Son maître examine soigneusement les traces de quelque animal passé par là ; il siffle son compagnon avant de revenir sur ses pas. Ses bottes s’humidifient de la rosée matinale. L’aube nait encore, luisant sur la rivière, promettant une journée estivale.

Au bien nommé
Au bien nommé

Au même moment, on ouvre des volets pour découvrir à nouveau l’abbatiale clunisienne, aux allures conquiennes. De petits yeux encore ensommeillés, des rides qui marquent une vie déjà au passé, mais une lueur qui indique une irréductible vitalité. Le Patron tend les bras pour accueillir la future âme, et il devine, à l’œil moqueur, qu’il lui faudra patienter encore pour que la dame dépose les armes.

Au bien nommé
Au bien nommé

Le pain à la main, l’élégant salue celle qui, bien vite, ferme sa fenêtre. Lui aussi passe devant le portail sacré auquel il jette un regard mi roublard, mi inquiet. C’est que les diables et les dragons pourraient bien l’attendre, lui qui se vante qu’il n’est plus enfant de chœur. Rapidement, il passe le monument, évite de loin l’abside et file vers sa porte qui le rassure tant.

Au bien nommé
Au bien nommé

Plus tard dans la matinée, on se prépare à sortir. La haute maison protège encore son occupant, qui veut passer chez son boucher et le libraire, ses amis mais aussi des marchands. Pour le plaisir, il s’octroie un détour, longeant les bords de la Dordogne, souriant au pêcheur qui s’indigne de ne rien rapporter, glissant dans quelque ruelle, au hasard, en espérant bien se perdre sans jamais y arriver.

Au bien nommé
Au bien nommé

Au café on se retrouve, discutant des nouvelles du village et du pays, s’indignant ou s’esclaffant, riant bien qu’en ce Beaulieu, sur la Dordogne sis, on n’ait jamais à faire à aucune sorte d’évènement. Un homme agacé sort, surgit près d’une chapelle qui élance bien haut ses arcades, se calme en déchiffrant les inscriptions sur les frontons. Bien vite il rêve à des temps anciens, ignorant sans doute qu’alors aussi on s’emportait parfois pour un rien.

Au bien nommé
Au bien nommé

Son brin de ménage et de toilette fait, il s’échappe de sa maison qu’il voit parfois comme une prison. Il est déjà tard, et l’après-midi commence. A la margelle d’un puits, il s’arrête, contemplant la placette qui est toujours si calme et si jolie. Il n’y a personne dans les rues, et c’est là la tragédie dans ces villages qui facilement s’endorment, et puis s’oublient.

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28 janvier 2015 3 28 /01 /janvier /2015 20:30

Les visages sont émaciés, les armes bien trop usées. La pluie de la nuit a détrempé les sols et les pieds pataugent dans une boue noirâtre. Toute la garnison s’est pourtant réunie à l’annonce de l’arrivée du gouverneur. La peur se mêle à l’attente, et le froid engourdit encore plus les membres qui se savent pourtant en danger.

Le cheval hennit. La bête toise les légionnaires qu’un combat récent a épuisés. Sous la porte passe l’ombre de celui qui les terrifie. Mais celui-ci, au cognomen prestigieux, descend simplement et leur sourit. Son premier geste sera pour la divinité. Qu’on le conduise à l’autel, qu’il offre ses libations. Car la piété exige de cet homme l’apparente soumission.

Le camp d'Ubiens
Le camp d'Ubiens

Le temple est modeste, mais il répond aux exigences romaines. Là est le centre du pouvoir car c’est de là que vient le nom. Il est le refuge des dieux latins et des Ubiens, ce peuple germanique que les Chattes vouent à une fin tragique. Mais tandis que le gouverneur s’avance pour offrir un peu de pain et de vin, il a la vision d’un temple plus grand qu’aucun autre. Il s’y opère un rituel autour d’apôtres, en souvenir d’un homme au grand destin.

Le camp d'Ubiens
Le camp d'Ubiens

Les colonnes crénelées sont largement dépassées par des piliers immenses où s’accrochent d’étranges petits hommes aux trois doigts levés. La cella est ouverte, mais point de divinité. De même le marbre blanc, disparu, est remplacé par une pierre sombre qui veut louer la lumière. De même le fronton, dépassé par des tours gigantesques : cette vision cause au gouverneur une inquiétude manifeste.

Le camp d'Ubiens
Le camp d'Ubiens

Prudent il s’avance maintenant vers les baraquements. Les soldats le voient hésitant, les Germains se demandent qui est cet homme titubant. Car, de nouveau, l’hallucination le prend : il est seul dans une foule qui ne lui rappelle plus ses Italiens, et de hautes constructions lourdes et grises figurent les tentes où dorment ceux qu’il a sous son emprise.

Le camp d'Ubiens
Le camp d'Ubiens

De nouveau, il revient à lui, en cette province naissante, cet homme que le temps bouleverse. Quoique les tours des murailles deviennent des clochers pour saint Martin, homme qu’il ne connaît point, quoique ses fidèles soient changés en statues et qu’en les murs s’ouvrent alors des portes délicates, le gouverneur tâche de n’en rien faire paraître. Mais en son for il se murmure que ce fort deviendra Cologne, une ville brillante plutôt qu’une casemate.

Le camp d'Ubiens
Le camp d'Ubiens

Seul le Rhin a gardé son cours intact. Mais de l’autre côté où s’étendait la forêt noire, c’est une ville manifestement, qui s’est faite, de ce côté du fleuve, le miroir. D’immenses bateaux y naviguent, des ponts incroyables l’enjambent. Le cœur du gouverneur le lâche soudain. Ses hommes s’affairent autour de ce qui est maintenant une dépouille. Nul n’entend, entre les lèvres closes, les mots qu’à peine il bredouille. Il dit la grandeur qui attend le camp des Ubiens.

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 19:00

Le rideau entrouvert laisse passer un mince rayon de soleil. J’entends qu’en contrebas on s’affaire, tandis que je peine à m’éveiller. L’insistance de la lumière sur mon visage embrumé me fait pousser quelque grognement, qui semble déranger, dans cette chambre, les autres occupants. Mon vêtement froissé me coupe la respiration ; je sors du lit, que je constate n’être qu’une paillasse sans aucune décoration.

Mes souliers encore aux pieds, je fais résonner le parquet en titubant. Je m’écroule et me relève, prestement, non sans être maudit par une voix caverneuse. Un bruit sourd et solitaire accompagne ma recherche de quelque coupe encore pleine, que je ne trouve pas. Un valet me surprend pendant que je me tiens au cadre d’une porte d’or ; il s’éloigne non sans quelque ricanement.

L'aube défaite
L'aube défaite

Après m’être repu de fruits trouvés sur une table de vins maculée, j’arpente les pièces d’un château que je reconnais être le mien. Les brumes sur mon esprit se dissipent. J’appelle, je trépigne, je pleure ; bien vite on s’affaire, on me console, on me requinque. J’ordonne, je juge, je dicte ; on s’empresse, on s’affaire, on s’inquiète.

L'aube défaite
L'aube défaite

Dans les pièces, mes amis s’agitent ; certains demandent aux musiciens absents la ritournelle qui les a enivrés, d’autres cherchent une outre vierge à vider. J’erre, chassant l’aimé devenu indésirable, m’agaçant des rires qu’hier je trouvai charmants. Puis je sors ; les bottes claquent et le froid les saisit. Dans leurs écuries les chevaux hennissent, s’attendant à galoper enfin.

L'aube défaite
L'aube défaite

Tandis que les carrosses s’ébrouent, je longe la façade aux trois couleurs ; les reflets de celles-ci se perdent dans les eaux du canal placide. La vue du palais apaise mon humeur, son harmonie me rend à un état lucide. Quelques instants je demeure, devant les tours d’angles, rondes et élancées, dont les formes rappellent vaguement un secret que l’on se doit de cacher.

L'aube défaite
L'aube défaite

Les dernières preuves de la fête s’enfuient maintenant. Je suis seul, m’enfonçant dans le parc où je me suis souvent plu, et où oies et canards accompagnent mes pas perdus. Je parviens enfin à la maison champêtre, où je me repose et me repais, puis en fais le tour tout guilleret, reviens enfin vers mon château, mon symbole français. Je le considère, dans son écrin de verdure, tout en ardoise et en feu, en buste de bronze et Bacchus terrifiants.

L'aube défaite
L'aube défaite

Ah, Dampierre … Mon cœur s’égaye quand il te pense mien, avant que quelqu’un me prenne, et ne me renvoie. C’est que le maître va revenir, et qu’il faut sortir de ma rêverie. Mais est-ce possible, quand passent sous mes yeux ces allées et ces fleurs, ces briques rougeoyantes et ces grecques drapées, ces fiers chevaux et ces beaux cerfs, ces meubles délicats et ces grandes dépendances ? Mes lèvres se ferment, je m’en vais déjà ; probablement ai-je abusé des madères et des ratafias.

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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 20:00

Le poste était important, et ce que lui avait laissé entendre le général à Paris semblait faire de cette place un rempart éminent. Oui, seul un homme jeune pouvait vraiment réussir à cette tâche immense, et c’est à lui que l’on confiait le sort du pays. Qu’il était confiant, voyant ces visages hâves sur le bord du chemin, se disant que personne ne se doutait que leur sécurité, par sa présence, était assurée.

La première halte, à Gravelines, l’avait convaincu. Les bataillons disciplinés, les habits fraîchement colorés, les baïonnettes à peine lustrées lui donnaient un avant-goût de ce qu’il attendait. Il avait salué les officiers, le maître de la place, s’était enquis de cette architecture espagnole perfectionnée par Vauban. Tout cela paraissait remarquable.

 

Des espoirs de variation
Des espoirs de variation

En son logement, situé au plus près des murailles pour que, si quelque alarme retentissait, il soit parmi les premiers combattants, il écrivait à sa douce restée à Paris. Deux ans passeraient vite, et il y aurait le prestige à la fin. De sa fenêtre, il devinait le beffroi, fierté de la commune, aujourd’hui marqueur du royaume. Comme il avait hâte d’y être.

Des espoirs de variation
Des espoirs de variation

Le lendemain, il était reparti sur un nouveau cheval, et avait laissé la place à un avenir incertain. Il arriva à Ambleteuse dans l’après-midi. Le fort dominait la plage, et pourtant il l’avait imaginé plus grand. D’ailleurs, se rassura-t-il, si la mer elle-même ne l’attaque, les Anglais l’oseront-ils ? On lui montra tout du lieu, et le soir il se coucha satisfait.

Des espoirs de variation
Des espoirs de variation

Les mois passèrent. L’horizon demeurait calme, et parfois il lui venait la tentation de canonner les pêcheurs du village, ne serait-ce que pour sentir l’odeur de la poudre. Mais aucune munition ne devait être gâchée, l’invasion était imminente. En haut lieu on lui faisait confiance pour remettre à la mer les importuns qui, pleins d’audace ou de bêtise, viendraient longer les côtes.

Des espoirs de variation
Des espoirs de variation

Les exercices étaient faits scrupuleusement. Le fort lui était connu dans ses moindres détails. Il l’inspectait chaque jour, s’arrêtait aux créneaux observer ces vagues désespérément pacifiques, gagnait les salles intérieures où, les soirs de marées, il se plaisait à écouter les assauts marins. Qu’ai-je à faire des paroles des soldats, qui préfèrent jouer aux cartes et s’encanailler avec les jeunes filles des villages, pensait-il, et alors il s’isolait au faite du fortin.

Des espoirs de variation
Des espoirs de variation

Dix ans passèrent, puisqu’il refusa de retourner à Paris, puisque la guerre était proche. On pouvait alors l’entendre s’agacer contre la verdure qui montait aux murs, contre les armes que les novices laissaient à la merci du suintement de l’eau. Il les prenait en pitié et les maudissait, ces inconscients, quand il glissa un jour sur un fusil qui était tombé bas. Sa jambe brisée, on le conduisit à l’hôpital le plus proche. Il apprit le lendemain que le maudit Jack flottait au loin.

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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 19:00

Cher tous. Nous voilà arrivés dans notre petit paradis. Le voyage, bien que long, s’est fort bien passé même s’il s’en est fallu de peu qu’il ne soit interrompu par une panne mécanique. Heureusement l’auto a tenu bon, et d’ailleurs, nous n’aurions su que faire avec tous ces bagages que nous avons pris. A peine devant la maison, nous les avons débarqués ; rien ne saurait maintenant nous inquiéter jusqu’à la fin de l’été.

Comme à son habitude, papa a été malade sur le bateau. Les enfants et moi avons beaucoup ri, honte à nous, de son mal être pour un si court voyage. Pense que nous n’avons le temps que de respirer qu’un peu de cet air marin qui nous manque tant dans notre grisaille quotidienne, et aussitôt le quai apparaît. Tout de même, tu aurais du le voir, tantôt blanc comme un linge, tantôt titubant comme un jeune mousse.

 

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Sitôt arrivé, notre malade, accompagné de Laurent et Thierry, est allé chercher les bicyclettes. Tu connais notre fameuse équipée : de nouveau les enfants ont pris un malin plaisir à faire la course jusqu’à la maison, prenant garde à ne renverser ni les bagages, ni mon précieux vanity. Quelle belle impression, en arrivant, de retrouver les odeurs et les objets que nous avions laissés là l’été dernier. Rien ne bouge, préservant, d’un été à l’autre, nos habitudes et notre tranquillité.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Les premiers jours, nous sommes restés à l’abri de nos volets que papa veut faire repeindre en bleu. Il tente de me convaincre que cela ira avec la mer, mais je tiens à son vert, ne lui laissant aucun argument. Il s’est alors consacré aux menus travaux et à la cuisine, quant à moi, dans le jardin, je taille et m’échine.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Le soleil ne manque pas d’accompagner nos siestes ni nos promenades, que nous avons commencées la semaine dernière. Nous avons d’abord visité les deux phares, qui font face au continent, puis avons longé la côte pour nous retrouver sur une plage, les pieds dans le sable et l’esprit content.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

C’est une chose formidable que de découvrir chaque année cette île. Aix est magique, disent mes aînés, mais elle n’est pas docile. Les chemins tout tracés ne nous satisfont pas toujours ; alors, laissant contre un arbre nos vélos, nous passons les barrières pour nous perdre parfois tout le jour. C’est ainsi qu’hier, nous avons gagné la citadelle ; Thierry devant, Laurent à sa suite ont pénétré dans l’enceinte avant d’être sermonnés et poursuivis par quelque géant dont nous avons entendu les grognements.

Carte aux trésors
Carte aux trésors

Chaque jour est une aventure, et je plains ceux qui, le matin débarqués, doivent le soir songer au retour. L’île est à nous quand se couche le soleil, que sur chaque fleur il laisse un peu de couleurs, qui ne sont jamais vraiment pareilles. Dans le bourg, les maisons s’éclairent et c’est merveille que de voir les ombres nous laisser à la grâce de l’océan. Je vous quitte et vous embrasse bien fort. J’ai tant de choses à faire en ce décor si plaisant.

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27 décembre 2014 6 27 /12 /décembre /2014 22:00

A la tête de nos troupes, nous avons traversé sans encombre la forêt sombre. Nous avons déjà vaincu et soumis tout ce vaste pays. Nous avons imposé la paix à ceux qui ne la souhaitaient pas, nous avons imposé notre nom à ceux qui le méprisaient. Par les armes et par le courage, nous sommes devant ces portes que la peur nous ferme.

En quelques instants les cliquetis minimes de nos armures rutilantes se transforment en une clameur métallique. La place est bien défendue ; la terreur qu’inspire notre renom saisit ces futurs sujets en des mimiques hostiles ou apeurées. Les lances percent les flancs quand les épées glissent sur ces corps bientôt couverts de sang.

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Dans les maisons, on se bat, les femmes courant à leurs époux leur porter couteaux et défenses, retournant vite auprès de leurs enfants. Mais de chaque porte jaillissent bientôt nos champions, venant de donner à la mort de nouvelles âmes, qui cherchent maintenant du regard la future offrande à faire aux mânes.

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Nous voilà les vainqueurs de cette terre. De cheval nous descendons, nous rendant à l’abbatiale pour y recevoir l’assentiment du Seigneur et du dom. Qu’importe le sang qui macule nos mains ? Celui que l’on boit ici ne serait-il pas aussi humain ? L’affreuse peur dans la voix, le prieur nous bénit. Il le sait bien : notre bras peut le faire passer à trépas et précipiter son entrevue avec son créateur.

Saint-Amand-de-Coly 593Saint-Amand-de-Coly 595

Le corps las et l’esprit encore hagard, nous fortifions nos corps par les victuailles que nous avons trouvées au hasard. Les corps s’entassent sur la table et dans les rues : femmes, poulardes, hommes et bœufs, enfants, cochons. Il en est près de nous qui confondent le sang et le vin, et remplissent leurs coupes d’un nectar que je soupçonne humain.

Saint-Amand-de-Coly 596Saint-Amand-de-Coly 597

A l’extrémité du village, là où les bois reprennent leurs droits, nous distinguons la fumée d’un brasier. Des cris et des pleurs nous parviennent mais ces destructions n’inspirent que l’indifférence habituée. Sur ces ruines bientôt fumantes nous dressons l’étendard, attendant que le calme regagne nos cœurs. Mais l’instinct aux aguets signale à nouveau quelque danger.

Saint-Amand-de-Coly 600Saint-Amand-de-Coly 601

Mais notre grand-mère appelle, et nous rangeons nos exploits imaginaires. Les flammes et les tristesses disparaissent, ainsi que nos désirs de conquêtes et de détresse. Nous ne sommes point en guerre, mais en vacances. Nous ne sommes pas dans quelque capitale, mais à Saint-Amand, où ne coule pas un fleuve illustre, mais le rustre Coly. Nous ne sommes que des gentils qui rêvons à d’obscurs délices.

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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 19:00

Il y a quarante ans que je travaille ici, et bientôt je ne serai plus. Oh je le sais, bientôt le Père me rappellera, et on oubliera jusqu’à mon nom. Ma vie se lira sur les pierres savamment taillées, fruit de minutes infinies où mes yeux et mes mains s’attachaient à donner la forme parfaite à ces cubes bientôt sacrés. Moi, accroché à la terre depuis mon enfance, bientôt rejoindrai les cieux d’où je verrai la cathédrale et son échéance.

J’ai perdu mes compagnons ici, quand l’épreuve nous parvint. Le labeur d’années un jour s’effondra, et nos efforts dans les décombres furent souvent vains. Dans les autres villes on se gaussa de ce drame, tandis que monseigneur ravalait son orgueil au milieu de nos larmes. Le peuple aussi s’alarma : où l’accueillerait-on dans ce chœur si haut mais si étroit ?

Beauvais 269Beauvais 293

On posa alors des contreforts pour assurer que le ciel que l’on avait atteint ne se déroberait pas à nos efforts. On bâtit selon les préceptes de l’abbé dionysien, révélant les lumières du divin et donc son essence. Pour moi cela fait sens, et chaque fois que les rayons percent les vitraux, je crois percevoir un signe pour un heureux destin. Mais je me sais présomptueux en disant connaître de ce dieu les desseins.

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Il y a une semaine que nous sommes enfermés ici. La mitre est inquiète car la populace n’est plus muette. On voit trembler la crosse quand les portes sont enfoncées tandis que de nos lances nous hérissons une barrière timorée. Mes frères d’armes, descendus des tours du palais, ont dit que la foule grandissait, et que la colère, à son exemple, l’imitait.

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Rien n’a résisté à la clameur ni à la fureur. Désemparés, désarmés, massacrés, embrochés, voilà quel fut notre régime. Quant au prince chassé, sa demeure fut pillée. Devant le roi ils se rendirent responsables de ce crime. Et ainsi sur notre mortel souvenir de palais épiscopal on passa au château fortifié. Mon âme erre encore en ces murs tragiquement intimes.

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Il y a une heure que je suis à Beauvais et je veux aspirer la ville pour qu’à son tour elle m’inspire. Lointains sont les temps oubliés de la conquête et des libertés. Les pavés sont propres, et seuls de malheureux mégots les souillent au lieu des débris de pierre et des terribles flots. Même les cris ont disparu, ceux des hommes qui hier s’agitaient et qui maintenant ne sont plus.

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Je parcours les rues et suis les panneaux indiquant les choses à voir. Car il s’agit désormais de choses quand autrefois elles portaient les symboles de la vie. Vie des hommes et des communautés, se réunissant et balbutiant ainsi, hurlant parfois et méprisant les agonies. Heures sombres et heures claires, nous reliant à aujourd’hui, à nos affres quotidiennes et pourtant séculaires.

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