Le fatras de l’immeuble détruit avait produit de l’art. Les vies piétinées mènent à la grande vie, celle de château, où l’on se presse sans se presser. Les gravas ont l’innocence des choses sans passé, bien que cela ne soit pas vrai. Et cette allée si pleine d’histoires, si vide d’importance, laisse bientôt la place à des parterres fleuris, herbeux et ombragés.
Le pavillon central est caché par deux ailes aux tours rondes et féminines. Son dur fronton, triangulaire, est à peine adouci par les multiples digressions de pierre rivées aux fenêtres et aux portes. Le château se décline même en trois couleurs, dont l’une rappelle le ciel et l’autre annonce les ors des intérieurs. La troisième est le pigment du sang et, partant, de la vie.
Sous les arcades, d’étranges chevaux montent la garde. Pour leur échapper, on est happé par une porte de côté, débouchant sur un labyrinthe dont on ne voudrait plus sortir. Les murs et les parquets, les stucs et les cheminées paraissent annoncer la normalité. Mais le lieu surprend, parce qu’il prend à revers toutes les attentes. Seuls le baroque de quelques salles maintiennent l’illusion de la demeure princière ; le reste la déforme, et forme une étrange réalité.
Une douce folie envahit le lieu. Une rumeur, dans un couloir : « Nous boirons à Oiron ». Les murmures gagnent en fréquence, s’éteignent brusquement lorsque l’on passe une porte. Aux murs, des services tatoués d’anonymes profils. Tel au long nez, tel au front dégagé, comme autant de fantômes attendant de paraître.
Les couloirs s’allongent, distordant les distances aussi facilement que les esprits. Des cercles bleutés se mettent en forme, avant de s’égarer sur la blancheur des parois. Les détours apportent quelques certitudes : des peintures anciennes garantissent une ancienneté tangible. Très vite cependant, de nouveaux éléments de vertige ; photos d’enfants sur les murs mêlés aux toits à la française, brûlures quotidiennes du soleil sur de grands panneaux blancs.
Les pièces continuent de proposer quelque défi intellectuel à ceux qui les investissent. L’esprit, en conflit avec le regard, s’abstient de tout jugement. La trahison n’est jamais loin ; les cadres vides de tableaux proposent des thèmes sans sujets. Mais dans une galerie, tout reprend forme : les plafonds peints reprennent les symboles connus, marques du bucolique et de l’ésotérique.
Ce qui fut demeure de l’art le restera. En cela Oiron est à la hauteur de sa réputation. Plus encore, car les œuvres exposées induisent un caractère insaisissable. C’est, en fait, un parcours qui commence au parc et suit les détours hasardeux de volontés démentes ou géniales. Ce circuit, pour rassurer, a laissé les grandeurs du passé. Cela vit, et plutôt bien. Cela étourdit et fait le lien.