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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 19:00

Le fatras de l’immeuble détruit avait produit de l’art. Les vies piétinées mènent à la grande vie, celle de château, où l’on se presse sans se presser. Les gravas ont l’innocence des choses sans passé, bien que cela ne soit pas vrai. Et cette allée si pleine d’histoires, si vide d’importance, laisse bientôt la place à des parterres fleuris, herbeux et ombragés.

Le pavillon central est caché par deux ailes aux tours rondes et féminines. Son dur fronton, triangulaire, est à peine adouci par les multiples digressions de pierre rivées aux fenêtres et aux portes. Le château se décline même en trois couleurs, dont l’une rappelle le ciel et l’autre annonce les ors des intérieurs. La troisième est le pigment du sang et, partant, de la vie.

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Sous les arcades, d’étranges chevaux montent la garde. Pour leur échapper, on est happé par une porte de côté, débouchant sur un labyrinthe dont on ne voudrait plus sortir. Les murs et les parquets, les stucs et les cheminées paraissent annoncer la normalité. Mais le lieu surprend, parce qu’il prend à revers toutes les attentes. Seuls le baroque de quelques salles maintiennent l’illusion de la demeure princière ; le reste la déforme, et forme une étrange réalité.

Oiron 849

Une douce folie envahit le lieu. Une rumeur, dans un couloir : « Nous boirons à Oiron ». Les murmures gagnent en fréquence, s’éteignent brusquement lorsque l’on passe une porte. Aux murs, des services tatoués d’anonymes profils. Tel au long nez, tel au front dégagé, comme autant de fantômes attendant de paraître.

Oiron 830Oiron 837

Les couloirs s’allongent, distordant les distances aussi facilement que les esprits. Des cercles bleutés se mettent en forme, avant de s’égarer sur la blancheur des parois. Les détours apportent quelques certitudes : des peintures anciennes garantissent une ancienneté tangible. Très vite cependant, de nouveaux éléments de vertige ; photos d’enfants sur les murs mêlés aux toits à la française, brûlures quotidiennes du soleil sur de grands panneaux blancs. Oiron 843

Oiron 840

Les pièces continuent de proposer quelque défi intellectuel à ceux qui les investissent. L’esprit, en conflit avec le regard, s’abstient de tout jugement. La trahison n’est jamais loin ; les cadres vides de tableaux proposent des thèmes sans sujets. Mais dans une galerie, tout reprend forme : les plafonds peints reprennent les symboles connus, marques du bucolique et de l’ésotérique.

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Ce qui fut demeure de l’art le restera. En cela Oiron est à la hauteur de sa réputation. Plus encore, car les œuvres exposées induisent un caractère insaisissable. C’est, en fait, un parcours qui commence au parc et suit les détours hasardeux de volontés démentes ou géniales. Ce circuit, pour rassurer, a laissé les grandeurs du passé. Cela vit, et plutôt bien. Cela étourdit et fait le lien.

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 20:00

Certains diront que ce bruit est le secret d’un repas réussi. D’autres encore prétendront que, derrière l’onomatopée intraduisible sur une partition, il y a cette musique étrange et envoûtante qui prépare les papilles à la dégustation. Oserait-on enfin dire qu’il y a aussi, au fond de ce ploc caractéristique, toute la terre d’une bande face à la mer, le travail d’une année entière.

Car avant d’être dive, la bouteille est vide, et elle puise au gré des vignes et des sols noueux l’essence de son être. Des campagnes paraissent alors favorisées, parce qu’elles donnent au liquide une texture plus savoureuse. L’apparence des sols est la même, et pourtant la vigne offre plus qu’il ne semble ; d’invisibles agents opèrent en secret pour surprendre les palais les plus coutumiers.

Médoc 194

Le pays qui s’étend de Bordeaux à l’océan a le nom chantant de Médoc. La diphtongue finale annonce le sud, tandis que la sonorité évoque d’écarlates plaisirs. Le long de la Gironde, le terroir sommeille dans l’automne naissant. Les ceps hésitent encore à perdre leurs robes qu’ils ont pourtant offertes aux vins divins.

Médoc 200Médoc 198

La route longue et droite donne l’impression au visiteur de parcourir ses chais. L’horizon est saturé de ces lianes exquises. Surprenant le regard désormais assuré de son illusoire propriété, de hautes demeures veillent aux clos. Les noms ronflent, à l’inverse des papilles qui patientent. Renonçant à penser aux prix, l’esprit verse plutôt dans le lyrisme dionysiaque.

Médoc 213Médoc 222

Bacchus n’est jamais si vivant qu’ici. L’orgie reste sage toutefois. Tout juste revêt-elle la forme de pensées asymétriques, de folies architecturales, d’envolées classiques. Que ce soit derrière des grilles d’or, des portails de roche blanche ou des portes de bois finement taillé, il semble qu’il y ait un regard inquiet qui observe ces pas étrangers frôler ces arpents sacrés.

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Même les chais ont eu droit aux honneurs de la pierre. Les fûts y dorment en paix, en attendant que leurs contenus ne soient la cible des lapées assoiffées. Vague fantasme cependant, car la décence interdirait ce genre d’égarements. Au contraire de ces pensées insensées, c’est une absolue tranquillité qui régit ces domaines encensés.

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Le Médoc, bas et haut, passe son année au chaud. Loin s’en faut, cependant, que ces terres ne livrent leur labeur. Car les récoltes passées, l’heure est au repos forcé. Ou bienvenu, même si d’étranges visiteurs viennent se presser pour fouler ces allées qui, jusqu’au bout, sont placées sous le signe du sacré. Et pour les incroyants, l’évidence compense : le bruit magique, ils le savent, toujours les récompense.

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 19:00

Elle est là toute la journée. Guettant. Elle guette les navires qui vont et viennent jusque dans le port. Eux dédaignent la Scanie qui les appelle pourtant. L’île est plus accueillante, notamment grâce à sa présence. Elle guette aussi les flots, calmes d’habitude, que rien ne vient déranger. Délicatement, ils caressent son rocher, et elle semble du regard les dompter.

Son visage parait triste. Ses mains abandonnées le long du corps tiennent une étoffe incertaine tandis que ses jambes repliées se souviennent à peine de l’eau qui ruisselle encore sur son corps. Elle peine à sourire à ceux qui l’observent, tout le jour durant, scrutant ses traits fixes et ses yeux dans le vague. La sirène ne chante plus. Elle peut attirer sans cela.

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Il veille sur elle, du haut de sa stature immense. Répondit-il à l’appel envoûtant que les marins redoutent tant ? A ce sujet, l’histoire est muette. Mais, plein de baraquements aussi hauts en couleurs que plein de soldats entrainés, le fortin veille, somnolant dans l’après-midi pluvieuse. Les canons pointent toujours dans la direction de la mer. L’ennemi ne viendra pas. Les canons pointent toujours.

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Le crépi ocre des maisons ne s’usent pas sous la pluie. La timide éclaircie rajeunit les teintes, et tout semble s’embraser, derrière les fenêtres, comme aux temps où les marins débarquaient et y prenaient quartier. La toiture, très basse, veut toucher le sol. Elle n’y parvient pas, laissant les pavés du trottoir seuls, délaissés même par les pas des promeneurs égarés, comme une marque sacrée à respecter.

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Les rues s’enfuient vers le palais. Le pluriel serait de mise, lui qui multiplie les grandeurs par deux puis par quatre, organisant son heureux calcul autour du cheval de bronze, montre du pouvoir. Amalienborg répond au marbre sis derrière, la coupole dorée de vert aux saints peints dans les tons de la grâce. Car le dôme coiffe la royauté, discrète à l’ordinaire mais orgueilleuse dans ses atours.

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Les yeux fermés, le tournis ne prend pas. Seul demeure le sentiment d’être perdu, et de ne plus retrouver la porte qui se trouvera heureusement ouverte. Les façades, solennelles et classiques, sont comme des miroirs, l’une imitant les colonnes de l’autre. Même les gardes marchent au même pas, agitant leurs bas bleus et leurs toques velues sous des fenêtres opaques et impassibles.

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Tableaux accrochés au mur, parquet ciré de frais, stucs savamment entretenus. La maison royale danoise souffle le chaud et le froid, jouant des températures, glaçant ses extérieurs et réchauffant ses intérieurs. Loin de ces habitudes confortables, elle reste là, toute la journée, la petite sirène, muette à jamais, sur ce rocher si loin, si loin des hommes et si loin des eaux.

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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 19:00

Un souffle fort à déraciner les arbres. Les galets ne semblent pas dérangés. Imperceptiblement, ils sont polis, rafale après rafale. D’apparence lisse, ils sont pour les chevilles de redoutables dangers. L’un dans la poche, pour le souvenir, l’autre laissé à son destin millénaire. Devant, la plage plonge dans la mer. Des têtes, au loin, y plongent à leur tour.

Le thermomètre digital affiche une petite déception. Les pieds sitôt immergés rougissent aussitôt. A l’horizon, des corps restent de longues minutes sous l’eau. Ce sont les phoques, princes des mers, demeurant loin de ces côtes trop peuplées. La pointe du Hourdel, ou la frontière entre les règnes humain et animal.

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Mouettes, sternes, elles virevoltent contre le vent, ramenant sans cesse leurs ailes en avant pour garder l’ascendant. Leurs cris nous parviennent, parfois. Un cri tantôt rauque, tantôt strident, image sonore de la lutte qu’elles livrent pour trouver pitance. D’autres volatiles se mêlent à ce jeu gracile. Les plus futés rient des combats futiles des plus obstinés tandis qu’en bas, le spectacle est le même : les éléments face aux vivants.

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Assis face à la mer, le temps passe. Les secondes disparaissent, les minutes s’effacent, les heures ressurgissent. On se lève, on marche, et le phare pointe au loin les prochains réceptacles des pas. La baie s’étend, jusqu’au Crotoy, mouillant au passage Saint-Valery. En un clin d’œil, on y est, sur ces grandes plages vertes où l’on ne se baigne, sur ces vastes étendues inertes que souvent l’on dédaigne.

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La plage, la vraie, faite de sable et de coquillage, drague le port. De lui on ne s’occupe, laissant nos regards aux flots calmes de la Manche naissante. Les promeneurs laissent des empreintes bientôt effacées, les enfants érigent des châteaux vite rasés. Le temps fait ici son œuvre comme un ouvrier pressé ; il renie l’homme dans son existence, abolit son avenir comme son présent.

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Sur la plage, abandonnés, les bateaux. La coque soupire. Elle attend que les vagues la reprennent, la bercent et l’emmènent là-bas, au large. Les lettres et les chiffres peints parlent de codes étranges, d’échanges commodes pour retrouver le chemin du quai. Pour les retardataires, il est trop tard : condamnés à rester échoués, à espérer que l’aventure reprenne, loin de ces rives par trop desséchées.

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La baie de Somme est une ode au calme. Les phoques l’ont compris, qui viennent jusqu’ici prendre repos et vivres. Certes, la ville, et l’homme ne sont jamais très éloignés, mais même sur les bords des petits ports, il règne l’accalmie qu’aucune tempête ne vient déranger. L’on se laisse facilement distraire, tant que les petits spectacles sont nombreux. La vague qui revient, l’oiseau qui hésite, le sable qui s’envole.

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24 décembre 2013 2 24 /12 /décembre /2013 19:00

Dans les recoins des palais, les querelles se trament. Là-bas, de l’autre côté des Alpes, le peuple piaffe et réclame son prince. Lui a choisi d’autres cieux, plus calmes que la turbulente éternelle, où il s’est édifié un palais digne de ceux que les hommes appellent rois. De l’autre côté, on juge. Lui qui se dit pape, est-il encore homme ?

Les yeux aux cieux, d’aucuns, plus proches, jaugent la forteresse si proche. Le prince y est et la silhouette se détache sur l’horizon. Le Rhône se devine à peine ; son écoulement indique le sud, l’Italie, Rome. Les regards restent braqués sur la nouvelle capitale, éphémère et fragile. D’ailleurs, l’onde impassible signifie aussi la frontière invisible. Les terres du pontife joignent celles du roi.

Villeneuve-les-Avignon 783Villeneuve-les-Avignon 812

Le fort de celui-ci parait plus austère. La pierre nue se dresse dans les broussailles décharnés, et la libre caillasse serpente jusqu’aux tours rondes. Quelques oliviers ont investi la place, nouveaux miliciens désarmés, laborieux et secs, apportant la paix et le goût. Aux pieds, les champs rangés tracent d’anciennes fiertés.

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Le bourg accolé s’est développé. Dans le nom qui est demeuré n’apparaissent que les demeures et point les armées. À la fois ville neuve, à l’indépendance toute limitée, à la fois rivale de la puissante voisine. Depuis le fort jaillissent ses toits rouges, tout de tuile, tout de chaleur, qui sortent des forêts d’émeraude comme autant de feux naissants.

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Les rues abordées offrent l’ombre salvatrice dans l’été rageur. Les façades claires renvoient une lumière apaisée et, derrière les volets clos, il se devine des repos jalousés. Il en va de même des belles bâtisses médiévales, qui cachent peut-être des secrets aimables. En tout cas, les saints en miniature veillent aux ouailles et à leur bonne morale.

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Un léger vent se lève dans la soirée qui commence. A l’abri des nouvelles casemates aux rigueurs crénelées, Avignon est tenue en respect. Sur les murs, la vie végétale s’accommode de la tranquillité vespérale. Et les fenêtres aux arcades voluptueuses annoncent des lendemains insouciants. Au lever de lune, des vrombissements se font entendre : ce sont les annonceurs ailés de l’été.

Villeneuve-les-Avignon 816

Désormais, le Rhône lie plus qu’il ne sépare. La Villeneuve est calme, alliant aux couleurs du soleil la belle architecture des placettes et des hautes maisons ombragées. Les ruelles à peine pentues peuvent piéger les chevilles mais leurs détours emmènent le regard sur les recoins des niches vides et entre les branches des arbres secs. Nos pas s’y arrêtent. Le cœur tend déjà vers le palais.

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16 décembre 2013 1 16 /12 /décembre /2013 20:00

Il y a dans les contes l’idée que le merveilleux habite le monde. Dans les herbes ou sur l’onde, on peut alors s’attendre à voir gnomes et monstres revenir d’outre-tombe. Mais une fois le livre terminé, et la couverture refermée, la magie demeure ; ne serait-ce pas une fée qui volette là-bas, entre les roses et les hortensias ?

Les pages sont parfois inutiles, et les mots qui nous guident sont comme autant de pas qui nous mènent en des lieux faussement candides. Il suffit de peu de choses pour que l’imagination devienne un tyran. Alors le corps, et les yeux, esclaves, convaincus, comme sous hypnose, ressentent pleinement ce que l’âme propose, c'est-à-dire  un irrationnel grandiose.

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Peu de choses. C’est d’abord un château, posé là au bord d’un précipice, narguant les calmes flots qui préfèrent s’en détourner bientôt. Son allure de grosse bâtisse plonge la raison dans les Highlands, ces terres de légendes. Ses tours font revivre chevaliers et ménestrels, où la cithare côtoie la lance et le heaume, les doigts entrechoquant les cordes comme les armes la chair.

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Le décor est planté. Le chemin qui s’ouvre est une invitation à continuer. Les frêles feuilles constituent une forêt à elles seules. Dangereuse ? On ne sait pas, et il faut alors du courage pour percer du regard sa densité profonde, et prier qu’on n’y trouve pas les portes d’un autre monde. Une allée se découvre et l’on s’y précipite, heureux d’y rejoindre les traces d’une quiétude fugace.

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Le lac que l’on trouve en contrebas n’a rien de rassurant. Ses eaux verdâtres semblent la tanière d’un esprit malfaisant, et les nénuphars qui s’y prélassent sont autant de gardiens patibulaires mais fainéants. Toutefois les inquiétudes disparaissent vite, quand de la verdure jaillissent quelques points brillants. C’est la couleur qui revient. C’est la vie qui triomphe.

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Le parcours devient alors fête, et les fées remplacent les korrigans. Les roses sont écloses, et la Roche qu’on dit Jagu se couvre de pétales qu’on avait crus perdus. Ce sont encore les camélias les maîtres qui, roses, blancs, rouges, sont autant de balises vers la fin du récit. A dresser l’oreille, on entendrait pourtant les variétés se disputer la primauté. Un jugement nous est demandé ; mais c’est bien trop exiger que de croire que sitôt sauvés, l’on voudrait à nouveau provoquer les orgueils et les jalousies. 

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Ainsi la fin est heureuse. C’est là le propre du conte, qui inquiète et rassure, agite les monstres aussi bien que la justice. Et ainsi tel Alighieri qui vers les Enfers descendit, nous remontâmes vers les éclats, qui signifient le paradis. La réalité reprend le pas et les fées de nos débuts sont elles-mêmes redevenues : simples abeilles, timides moineaux, picorant et butinant, agrémentant de leurs bruissements et de leurs chants cette fugue éphémère.

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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 19:00

Cassandre, dans l’herbe nue et les pieds verts, laisse aller sa chevelure. Son ami l’amant Pierre dort encore dans ses rêves à elle. Il rêve de matins doux, de visages doux et de mots doux. Il rêve d’elle qui dort, tendre femme, et chacun s’imagine réveillant l’autre par mille et une caresses.

Mignonne, lui dit-il, et tous les mots lui viennent. La fleur prétexte est dans le jardin, profitant des premiers rayons du soleil, à l’ombre de quelque mur aux pierres défaites. Tous deux s’en vont ainsi, la main prude et le corps chaste, tous deux s’en vont vers ce petit objet fleuri, qui a déjà bu la rosée matinale. Il est tôt, et le silence est sans rival.

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Sur ses épaules, la robe de pourpre a l’air de flotter. Dans l’humble prieuré, le soleil se reflète en chaque pierre qu’il blanchit, ou plutôt purifie, pour se mettre à la hauteur de cet amour poétique. Les joues encore rouge, les deux êtres respirent l’instant avec allégresse, conscients de cette coupable faiblesse.

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La jeunesse est cueillie, en un moment, à la vue des nuages et des arbres endormis. Tout à côté, les hommes du cloître dorment encore, prêts à célébrer l’office quand les cloches sonneront tout à l’heure. Eux, les amants, reviennent bientôt. Ils passent près de l’église, se perdent dans ses courtes travées, rient de bon cœur en passant près de l’épitaphe funeste qui sera l’ultime trace de l’un d’eux.

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Ils effleurent ensuite l’hôtellerie, y regardent par les fenêtres pour deviner un visage inconnu mais n’en voient aucun. A vrai dire la salle est vide, et l’air y est pesant. Repensant à la rose, ils en reconnaissent le drame. Car la vie n’attend pas, et la peur semble déjà, pour les timides pétales, synonyme de désespoir vespéral.

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Cassandre et Pierre s’en vont finalement à la maison du prieur. C’est son domaine, et il y entre sans garde aucune. Saint Cosme toise cet étrange visiteur, accompagnée d’une délicieuse pécheresse et s’en retourne à ses souvenirs de martyr. C’est là qu’ils se disent adieu, que les larmes n’y font rien et que les baisers se font plus puissants mais aussi plus malheureux.

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Pierre la regarde s’en aller. Il regrette déjà son odeur, sa présence et sa peau, et voit le jour commencer de poindre. Sa main cherche le calame, le trouve et le gratte avec vigueur sur le papier mal réveillé. Les matines appellent déjà qu’il a à peine posé sa plume. Elle, qui vite s’en est allée, ne se doute probablement pas que sitôt partie, elle est déjà immortelle.

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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 19:00

La Seine appelle, au bout de la rue, les imprudents venus écouter son chant lancinant. Mais avant de retrouver l’interminable sirène, il faut passer par-dessus ses cheveux effilés qui se perdent jusqu’au cœur de la ville. Qu’importe, la belle attendra. Car l’horizon qui s’ouvre est bien réduit, et les obstacles qui se dressent ne sont que curiosité et richesse.

Le corps las et la tête abrutie, il faut trouver du réconfort. L’officine ne dit pas son nom ; aucun caducée n’annonce les miracles qui s’y déroulent. Mais les verbes y sont au passé, et les bocaux correctement rangés ne contiennent plus que poudres inutiles et remèdes fantasmés. Assis sur un banc de bois, la médecine opère.

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Les couleurs et les scénettes laissent à l’esprit l’impression de la guérison. Les jambes elles-mêmes reprennent courage, explorant les pavés et le trottoir, refusant les torpeurs de l’âge. Les yeux redeviennent perçants, aveuglés parfois par l’or des grilles et le luxe caché des pierres et des rideaux de velours. Et les bras se tendent régulièrement, enfermant à tout jamais dans la boîte noire les images de Troyes.

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La frénésie, pareille à l’ivresse, s’empare du corps comme d’un pantin. Elle pointe des objectifs, attribue des mérites et encourage l’envie. Seulement, les parcs peuvent encore autoriser la quiétude, momentanée, et refreiner ces quêtes irraisonnées. Quelques centenaires encore robustes y trônent, fiers de leurs panachages, apanage de la patience surannée.

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L’ivresse, à nouveau, est rudement bousculée quand, après avoir foulé les pavés du parvis, l’on entre dans Sa demeure. La fraicheur brise le soleil, le dallage rassure les pas, le vitrail diminue ostensiblement la lumière. Le bras, autrefois rapide, hésite sur les beautés à privilégier. La tête tente de lire les divins textes, mis en icônes vertes, rouges et bleues. Le pied cherche un banc, réconfort immense, pour saisir cette grandeur incompréhensible.

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A la sortie les rues pétillent encore, malgré le coup porté à la griserie joyeuse. Jusqu’au fond de ce bouchon, des surprises apparaissent. Pour que l’on se repaisse de ce vert toujours plein, un arrangement de pierres et de fleurs, à l’ombre apaisante d’une autre maison de seigneur. Trois pétales tombent, presque au même moment. Et nous, nous nous levons.

Troyes 417

Le bouchon est désormais entier. Du corps médiéval, la tête n’a rien à envier ; d’ailleurs, quel intérêt d’être sa rivale ? De la cathédrale aux jardins, des églises innombrables et des palais de bois et d’or, la tête ne retiendra que la richesse. Le bras, déjà fatigué, se souviendra de toutes ces promesses. Et les cuisses y reviendront, peut-être, avec allégresse.

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22 novembre 2013 5 22 /11 /novembre /2013 19:00

Des grues partout. Au milieu du tissu déjà dense, ils poussent, ces géants qui grattent le ciel, et même le défient. Dans un même mouvement planétaire, la course est lancée. Le plus haut sera le mieux. Le plus haut sera le plus beau. Alors la ville grandit. Au sens littéral, elle croît, croyant atteindre les sommets qu’elle se promet.

C’est un chantier contemporain, une compétition d’architectes. Les formes, les couleurs, les effets, même les scintillements du soleil sur les parois vitrées donnent l’impression d’être calculés. A cette échelle surhumaine, l’ascenseur devient roi. En quelques secondes, les cieux sont atteints. Le lieu continue de poursuivre son destin.

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Arrondis et lignes droites, bleus et noirs, tous ne connaissent qu’une seule direction. L’audace au service de l’argent dessine un nouveau visage à Londres-ville-monde, dont la City est le cœur palpitant. Et dans ce paysage émergeant comme d’une mer trop calme auparavant, l’émulation donne à l’ancien des airs de Nouveau Monde. Les noms comme les valeurs défilent, désignant en lettres d’or les codes d’un monde nouveau.

Londres City 340Londres City 335

Par un étrange revirement, le temps qui semblait tout engloutir inverse sa course et bascule au siècle de l’Empire. La pierre remplace le verre, et fait le pied de nez à la brique qui règne partout ailleurs. Loin des tubes de la Lloyd’s, la mode est aux colonnes, semble t-il de Corinthe, aux frontons glorieux et aux statues équestres des généraux victorieux.

Londres City 330Londres City 331

Entre ces éléments si massifs, l’on se rappelle que, plus avant encore dans le temps, ces ruelles furent la genèse de la pieuvre d’aujourd’hui. Quelques coupe-gorges, ici et là, maisons à colombages et devantures de bois ramènent l’homme à la réalité. Aussitôt révélée, aussitôt déniée. Saint Paul la majestueuse écrase de sa claire coupole l’horizon d’Albion.

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Véritable phénix, l’antre du Cilicien se veut épigone de son condisciple romain. Formidablement imposante, la cathédrale est née du feu et y a résisté. En son sein elle accueille, maternelle et bonne fille, les conquérants et les défenseurs, ainsi que les amis artistes de son père architecte. Le caveau est immaculé, sobre, et les monuments s’y élèvent, tels les marqueurs bronzés de la grandeur.

Londres City 352

En passant le portail marmoréen, c’est Londres que l’on retrouve. Tous les clichés reviennent tandis que la City retourne à son court repos de fin de semaine. Les chantiers, jamais arrêtés, poursuivent leur quête céleste, tandis que la bourse et la banque se regardent, attendant que le tumulte renaisse. Et Saint-Paul sonne, s’égosillant pour appeler les ouailles, bénissant au gré des ondes la belle de la Tamise, Londres.

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 19:00

Le coq, solide et fier sur ses pattes, a chanté tôt ce matin. Son nom, célèbre dans tout l’empire, est le synonyme de luttes intenses, de batailles perdues ou gagnées, de soumissions et de pouvoir. Peu lui importe l’histoire ; c’est pour la gloire qu’il hurle, lui qui de ses plumes est fier et qui chaque matin, inlassablement, révèle le soleil aux endormis manants.

L’animal laissé à sa besogne ergote bruyamment. Mais l’attention est ailleurs, portée sur l’arc qui s’élève au milieu du sable. Porte solitaire, sans possessions ni frontières qu’elle peut délimiter. Porte sans cité, vestige qui triomphe des affres de l’oubli. Ses gardiens, blancs et à moitié effacés, souffrent doublement de l’absurde immobilité et de l’atroce cécité.

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Le mausolée voisin est pareillement nu sur cette aire délaissée. Telle une lanterne aux proportions formidables, il s’est élancé sans peine dans ces infinies années. Sur ses bas-reliefs, l’on devine les scènes de guerre, et de chasse, qui reviennent au même. C’est en l’honneur de la mort qu’il fut dressé, pour celle qui fauche et pourtant est exaltée.

Glanum 056Glanum 059

Glanum, désormais oubliée, fut urbaine prospérité. On y parla grec et puis latin, on y voyait les Alpes en sentant tout près les Apennins. Respecté de la nature, le site autorise ça et là de certains buissons les désinvoltures. Mais c’est la pierre qui règne ici, elle qui saigne en silence. Car le temps, aidé des hommes et du vent, a tôt fait de ravager les plus exquises créations, n’ayant de respect que pour lui-même et ses imprécations.

Glanum 101Glanum 065

Sur les colonnes orphelines, plus aucune tuile ne retient les visites impromptues. Sur les colonnes orphelines, les crénelures creusent jusqu’à leurs pieds les anciens symboles de la postérité. Sur les colonnes, l’on voit le ciel, qui aujourd’hui a tout loisir d’observer scènes privées et intérieurs délaissés. L’on pénètre sans égards dans les pénates et les boutiques, essayant de saisir les secrets de toute cette vie antique.

Glanum 081

Au fur et à mesure que l’on s’y enfonce, vers les confins où se dressent les collines, l’on passe les stèles où apparaissent les prières et les promesses destinées au héros aux douze travaux. Peu avant, les temples, désuets et décharnés, imposent par leur hauteur l’imagination de leur gloire passée. Ils font face à la source ancienne, gauloise, païenne parmi les païennes, guérisseuse des maux et origine du mot.

Glanum 096Glanum 097

Par un chemin de terre sèche et de pierre, le panorama se découvre. Les criquets, ces fervents Provençaux, rivalisent à nouveau de chant et d’endurance. En contrebas, les maisons, les termes, le forum, les étals, les atrium paisibles et les pavés battus par les roues de charrette, les prêtres et les notables, les légionnaires, les marchands, les enfants, les princes et les dieux, enfin, reviennent une dernière fois sur les ruines de l’empire.

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  • : LM Voyager
  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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