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15 avril 2014 2 15 /04 /avril /2014 18:00

Infini, il s’étend d’ici à là-bas et il invite au rêve et au désespoir, avançant sans cesse sur ce qui lui résiste, grignotant l’abondance pour y imposer la sécheresse, pour s’y poser à toute vitesse, disséminant ses enfants qui s’égrènent et se décomptent par millions, par milliards même, et forment ensemble le plus homogène des paysages, la promesse de l’agonie.

Bravant le danger, bravant l’ensevelissement qui menace, la route ici passe et trace les derniers liens qui unissent ce lieu, ou bien celui-là, et tel autre encore, à la ville lointaine, à la mer d’un bleu qu’on ne voit pas jamais, aux hommes qui se méfient d’ici, au grand lac salé dont les eaux dorment profondément et dont les couleurs s’avivent aux premiers rayons du soleil.

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Le noir bitume résiste encore, gargouille bruyamment quand midi sonne, mais le jour n’est pas prêt de finir et le soleil brûle déjà les peaux et la terre, où se perdent paysans et imprudents, qui ne se repèrent qu’à la marque blanche des minarets d’où sourde, malgré l’absence du muezzin, le long appel de l’envie d’être sauvé.

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Du haut des collines d’or s’additionnent ses sœurs jumelles, nombreuses à en perdre la tête et qui invitent à s’y perdre et à les conquérir, de ce point jusqu’à la fin, et avec elles ces caillasses écrasées, ces rocs acérés, et avec elles leur ressemblance inquiétante, cette répétition presque artistique qui fait soudainement sens avant de faire perdre le nôtre comme se perd le regard qui tente d’y voir une différence, un point de rupture.

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A chaque sommet séparé de son congénère, c’est un trou qui apparaît ou qui doit être, mais trop pressés nous dévalons la pente, et apercevons la blessure, le puits peints de blanc en son fond où les degrés ne s’aventurent guère, et nous contemplons cet habitat simple et sain, au toit fait de sable et de grains, voire de graines qui sèchent là à l’ombre des cactus et des dattiers.

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Si le silence est demeuré, l’obscurité a fait son entrée dans cet intérieur protégé du mauvais œil par les mains bleues, avant que l’intimité ne nous absorbe, dépouillée, nudité, dans tous ces menus objets depuis les pots de toute taille aux tapis et paillasses qui servent aux pieds et aux dos fatigués, tous ces bibelots sans valeur qui annoncent le retour au temps passé, aux quotidiens en toute simplicité.

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Le refuge de l’humanité est resté en bas, il nous faut retrouver notre chemin dans ce monde si inhabituel, où ne nous surprendrait jamais une rencontre étrange, sinon celle d’hommes, nos semblables, mais dans ce monde où nous sommes vulnérables est restée l’envie de l’échange, même si c’est redoutable car c’est envoûtant dans ce Matmatah étouffant.

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7 avril 2014 1 07 /04 /avril /2014 18:00

Le caoutchouc a supporté les lacets routiers sans trop couiner. Arrêtée sur la place noire, la berline blanche aspire désormais à une sieste jusqu’au soir. Un vent léger descend des montagnes toutes proches ; de l’autre côté du pont l’on entend la musique répétée du torrent sur les roches ; aucun autre bruit ne se soumet au jugement de l’oreille pourtant habituée.

Loin des sommets et des massifs de perdition, Billom laisse sa part au lion pour ce qui est des ascensions et autres difficultés. L’effort y est plus mesuré, et la place se livre, c’est fort, sans vraiment hésiter. Aucun défenseur dans les rues, ni animal dangereux : le pont est pris et l’entrée est libre.

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Fi de la méfiance, l’envahisseur embrasse la cité. Telle situation est avantageuse : les contreforts de l’Auvergne laissent la cité en paix et celle-ci se repait des faux plats que l’on parcourt pas à pas. Volets fermés, portes closes : est-ce un désert ou bien une crainte ? Pas un chat, ni un chien, pourtant l’on se sent observé. Des yeux clos, de pierre, scrutent l’étranger qui vient ici s’asseoir ; les mains cachées attendent pour, d’un coup de poignard, lui lacérer le dos.

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Aux fenêtres les fleurs chantent l’été. Pétales rouges, tiges vertes, beau contraste sur la pierre découverte. L’étranger, toujours là, quitte ses aguets pour explorer la récente soumise. Sous l’arche il traverse, inconscient et imprudent. Soudain une attaque. Mais ce ne sont que caresses végétales et stériles menaces qui déploient leurs membres opaques.

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Quelques bruits de pas résonnent au loin. Mais dans un pareil traquenard, le loin ne l’est jamais tout à fait. Le cœur battant et la gorge sèche, il s’avance, le nouveau venu, glissant entre ombre et lumière sous les fers noirs des battants blancs. De nouveau le vide. Uniques rires, les piaillements de deux piafs sur un banc verni. Avant d’être atteints, ils s’envolent.

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Même les échoppes sont vides. Lui, le barbare, s’invite à la taverne, à la caisse du marchand, sous le rasoir du barbier. Rien n’y fait. Toujours à sa sortie, c’est le soleil qui l’accueille. Le vermillon décidément revient souvent. Exubérance ou avertissement. Tout en haut, toits dégarnis, presque ruinés, qui dessinent de curieuses frontières avec le ciel.

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Ah l’église, refuge des âmes et parfois des corps. Mais pas ici. Au fond, une petite troupe pleure son meneur. En silence. L’obscurité gagne définitivement. Le vainqueur d’hier constate le vide de sa conquête. Alors il disparait du temple, longe les porches toujours fermés, descend vers le torrent toujours frétillant, et s’échappe avant que la nuit ne tombe.

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30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 18:00

Tout commence dans une joyeuse mêlée. La foule s’est pressée, ce jour-là, pour admirer ou bien mépriser. Tant de menus objets les attendent, ces badauds à la bedaine tombante ; et point n’est besoin de marchander, car quelque intérêt que l’on marque, sitôt le prix est légèrement baissé. Des jouets en plastique aux artifices louis-quatorziens, de biens beaux meubles aux tubes nostalgiques, la scène débute dans un intemporel bazar.

Malgré les appels et les tentations, il faut partir pour éviter les sempiternelles questions. Le vinyle ne valait rien et la commode branlait, le livre s’éparpillait et les assiettes n’étaient pas vraiment de Gien. Adieu à tout le monde, nous nous en allons. Et qu’il ne nous plaise de revenir en ce lieu, où le temps passe trop vite et où les affaires manquées nous dépitent.

Montmartre 200

Les murs de la capitale réservent quelques surprises exotiques. Jaillissant d’esprits délurés, une faune géante peuple cette jungle civilisée. Mais les envahisseurs sont partout, et il convient de se méfier pour ne pas risquer un mauvais coup. Passage des Abbesses, un homme emmuré crie silencieusement son désespoir. C’est d’abord l’horreur noire, avant de s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’un masque grossier.

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Jugulant le gémissement qui monte, nous sommes surpris par la protestation qui gronde. Elle vient des pieds qui voient arriver, couards qu’ils sont, les premiers escaliers qui à l’épuisement certain les conduiront. La révolte  matée, la pente est attaquée. Rien ne fait plus peur, c’est même le cœur léger que l’on atteint les sommets. Entretemps le calme est revenu sur les murs, qui s’ornent seulement de plantes douces, décoratives et pures.

Montmartre 229Montmartre 217

La capitale est dernière nous. Nous lui avons laissé les agacements, les prises à partie et les renâclements, et avons gardé pour nous les joies et les délices villageois. Une placette, un banc, des pavés gris et des arbres encore verts, il ne manque que la boulangerie qui ferait face au tabac qui est ouvert là-bas. Il y a même des moulins qui rappellent la Castille ou bien la Beauce, dont les pâles ne tournent plus que pour le spectacle.

Montmartre 232Montmartre 772

Comme tout village, Montmartre a son église, envahie par les pèlerins de tout âge. Son glorieux nom de basilique mis à part, elle a belle allure avec ses coupoles multipliées et son campanile qui vaut sûrement plus d’un liard. On s’y presse, on s’y pousse même pour y pénétrer. Puis on la laisse, pour mieux apprécier, au détour des pavés, de ce petit coin parisien la tranquillité.

Montmartre 769

Certes un menu effort est demandé. Certes on peut s’y sentir à l’étroit à certains endroits. Mais c’est un petit air de province qui souffle là, avec ses guinguettes peuplées de piliers, qui tirent à la vigne toute proche les flots de joie qu’elles servent. Il y a enfin les petits noms franchouillards, les enseignes qui vont bien et leurs promesses de gueuletons très fêtards. Allons-y, c’est pour ce soir.

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22 mars 2014 6 22 /03 /mars /2014 19:00

Le moustique passe et repasse, bourdonnant frénétiquement près de l’oreille du sieur de la maison. Les tapes de la main ne l’effraient pas ; les agacements sonores l’amusent, même, car il est déjà loin quand ils sont prononcés. L’homme sue à grosses gouttes. D’un revers de manche, il s’essuie sur sa chemise, cette dernière laissant apparaître de plus en plus la peau bronzée qui est dessous.

Le bruit des machines a cessé. Depuis longtemps déjà. L’habitation dort. Elle aussi depuis longtemps. Mais elle a gardé ses beaux habits, ses parures de bois, sa pudeur malgré la torpeur. Les portes ouvertes, elle laisse la brise passer. A moins que ce ne soit manière de nous inviter.

Habitation Clément 854Habitation Clément 860

Cependant le regard se perd. Il scrute les plantes déjà vues, les palmiers déjà connus, les essences anoblies. Il imagine des histoires, cet œil agile, des histoires de maîtres et d’esclaves, de récoltes et de douleurs. Il imagine la rue case-nègres pleine de monde, il imagine la liberté, il imagine la servitude salariée, nouvelle et propre en apparence mais sale en réalité.

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Enfin le regard entre. Et raconte. Le vieux maître, assis dans sa rocking-chair, entend à travers les persiennes les travailleurs haleter entre deux efforts. C’est bientôt la récolte. La canne sue déjà le jus qu’elle livrera, comme à son habitude. Enfin le vieil homme se lève. Il faut aller voir si tout se passe bien. Car de la plantation jaillira le rhum, cette brûlure blanche ou d’ambre qui émerveille aussi bien qu’elle nettoie.

Habitation Clément 870

Des cuisines monte une odeur épicée. L’oiseau entré dans la cocotte ravira les papilles autant qu’il enflammera la gorge. La tablée est prête. Sitôt le repas passé, et alors que la nuit tombe doucement sur l’île aux fleurs, chacun s’octroie le plaisir de l’intimité. Les uns lisent, les autres discutent. On entend les rumeurs des esclaves. La vie rencontre la nuit.

Habitation Clément 874Habitation Clément 869

Au petit matin, les domestiques viennent changer les draps blancs, lavés par les effluves de l’obscurité transpirante. En bas déjà, de nouvelles fleurs font leur apparition sur la table de bois noir, tandis que les carreaux bleutés sont rendus à leur originale propreté. Déjà les champs sont envahis, et la canne s’apprête à choir. Derrière les persiennes, les heures s’égrènent lentement ; le mouvement est ailleurs que dans la belle demeure.

Habitation Clément 881

Ainsi en est-il parfois du compagnon oculaire. A la place de meubles surannés, de rideaux purs mais vieillis, de parquets cirés mais chantants, il ressuscite les anciens occupants, les amitiés anciennes et les jours oubliés. Dans l’habitation Clément, la canne s’évertue à demeurer verte et bonne. Les nouvelles pousses n’ont jamais entendu parler de ces hommes d’ébène, au chapeau et à la machette qui avaient les chaînes aux pieds et au cœur.

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14 mars 2014 5 14 /03 /mars /2014 19:00

Sous la houlette du roi, les ouvriers s’acharnent. Peu à peu, Richard voit s’élever le cadenas de sa province. Du haut du promontoire, c’est la Seine qui se trouve dominée, en même temps que les terres qui se trouvent en aval. Et si la terre n’est plus sainte, elle est en revanche sacrée pour celui qui la détient.

Voici deux ans que les pierres commencent à dessiner les contours de la sécurité. C’est la Normandie, l’enjeu de la bataille. Philippe et Richard, alliés contre le Sarrasin, s’empoignent vaille que vaille. L’aridité perdue leur fait retrouver le goût de la ferraille ; pour les vertes plaines l’on se battra, car convoitise est fille d’abondance.

Château Gaillard 981Château Gaillard 979

Le paysage bucolique et charmant sera-t-il le champ des ouvrages sanglants ? C’est là l’intérêt de la forteresse : favoriser la convergence des forces divergentes. Aux pieds de la menace immaculée, le village des Andelys semble ne même pas trembler. C’est que le fracas, aussi terrible soit-il, laissera bientôt place à la quiétude quotidienne.

Château Gaillard 977Château Gaillard 983

En attendant l’ost, Richard est mort. Jean lui a succédé, et c’est lui qui voit arriver aux abords de son castel les beffrois et les lanciers. Dans le donjon rond l’on s’affole ; les augustes oriflammes semblent sonner l’heure du roi d’Angleterre, qui bientôt sera privé de terres. Mais ce sont les bouches inutiles qui sont bientôt privées des nourritures essentielles. L’hiver passe. Le symbole trépasse.

Château Gaillard 986

Les semaines se suivent, mais le temps a arrêté sa course. Le duché lui est déjà promis, mais Philippe préfère soumettre le gaillard château, dont la garnison s’est isolée loin des traits déloyaux. Les épées au fourreau, c’est davantage la faim qui contraint. Le roi s’est entouré d’un Gallois qui connaît les combines. C’est lui qui percera le secret de la citadelle et la livrera à la rapine.

Château Gaillard 987Château Gaillard 985

A la fin de l’hiver, les assiégés se rendent. Par la chapelle ou les latrines, les assiégeants ont pénétré, forçant l’Anglais à livrer les clés. La Seine se fait voie royale jusqu’à la mer et, si de l’autre côté de la Manche on ne désespère, c’est que l’île demeure encore inviolée. Le royaume s’agrandit ; quant au château Gaillard, il est menacé, presque détruit.

Château Gaillard 984

Aujourd’hui en ruines, la clé de la Normandie, vestige du génie militaire d’un combat oublié, impose encore à ses visiteurs la puissance de sa situation. La Seine en contrebas fait mine de courber l’échine ; les murailles ont encore, et largement, leur pouvoir d’inspiration. Les hommes morts ont, un instant, revécu. Les siècles n’y peuvent rien, ces moments ne sont pas perdus.

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 19:00

Août attend que juillet daigne s’en aller. Mais le beau mois d’été tarde, et se laisse trainer dans toute sa longueur, exaspérant son successeur. A peine la première moitié a filé, et jour après jour les rayons obstinément dardent jusqu’à tout brûler. Profitant de la chaleur inaccoutumée, les blés ont poussé et désormais, dandinent leurs têtes dorées au gré du vent qui s’agite.

Une belle photographie. Au premier plan il y a tout ces épis, droits et secs, ragaillardis, qui laissent peu d’espace à la polychromie. En fond sonore, comme une petite mélodie survient une guêpe ou un hanneton qui vrombit. Enfin à l’arrière-plan, fière et pudique, surgit l’abbaye dans ce lieu-dit de Pontigny.

Pontigny 046Pontigny 047

La mère Cîteaux avait décidé d’établir ici son aînée, dans le grand manège des faux et par la force des frères. Les pierres s’étant ajustées avec bonheur, ce fut bientôt le temps des heures, constituant le labeur de ces grands orateurs. Dans leurs habits de blanc et de noir, ils élaborèrent avec vigueur les alentours de l’abbatiale, lui laissant toute aise pour déployer sa grandeur.

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La large nef toute blanche laisse résonner l’écho des pas. La tentation serait grande de pousser un cri, de tester jusque aux notes les plus aigues le retentissement possible de cette halle sacrée. Mais le dépouillement appelle à l’humilité, et au respect, au souvenir aussi de ces scapulaires discrets et baissés dans l’attente d’un jugement dernier.

Pontigny 052Pontigny 053

Avec le temps, l’esprit raide et sévère des premiers bâtisseurs s’était accommodé des ors qu’on jugeait dès lors moraux. Alors la simplicité se retrouvait dehors, auprès des buis et des bouleaux. La quiétude dressait autour de sa protégée une bulle d’indifférence, et les attentions se tournaient alors vers des versants de rouge et de blanc revêtus dans ce pays de délices et d’excellence.

Pontigny 061Pontigny 065

Les années suivent, secondent l’être invisible qui constamment détruit les œuvres des hommes. Parfois pourtant apparaissent de presque parfaits poètes, réapprenant la langue des lieux, aiguisant leurs regards profanes sur les pierres depuis longtemps fanées. Réapprivoisant la faune visible et insaisissable, leurs vers parcourent les profondes allées qu’autrefois les tonsurés fréquentaient.

Pontigny 049

Réunions annuelles, sous le ciel d’un bleu lessivé par les orages de l’été. Les mots ricochent, au hasard des langues qui les lancent dans l’écho lointain et sous les peupliers par leurs feuilles alourdis. Aux rimes élancées se lient aussi les logiques des philosophes, qui d’une question en tirent problèmes et conclusions et finissent, par les traits de leurs esprits, par déclarer qu’infiniment complexe est la vie.

Pontigny 066

Des décades nous séparent des moulins et des rivières, qui ont fait par le passé les riches heures de cette cistercienne célébrité. C’est à notre tour, désormais, d’y poser des mots et des regards, de la conserver bâtie et riche et de la garder du danger de la friche. Mais avec ou sans l’humain, l’œuvre demeure, et avec elle sa poésie, celle de l’art qui jamais ne meurt.

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26 février 2014 3 26 /02 /février /2014 19:00

Des terrasses, les vignes plongent jusqu’au Douro. Le fleuve bleu s’immisce entre les versants accidentés couverts de vertes promesses. Les grappes ont mûri, jusqu’à devenir noires, prêtes à éclater en un jus de chais. Les vendangeurs, intemporels depuis l’épopée de Torga, s’échinent à demeurer abaissés pour prendre dans leurs mains ces grains que bientôt ils fouleront aux pieds.

Sitôt extrait, le nectar emplit ses premiers tonneaux. De longs mois ils restent au plus près du lieu de leur naissance, de ces ceps qui sont nus l’hiver et se regarnissent aux premiers jours d’avril. Puis ils partent, embarqués dans ces barques à fond plat qui partent sur la rivière et s’arrêteront sitôt la rive apaisée. Là où l’argonaute s’appesantit, là les vins patienteront. 

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Le pont de fer, frontière parfaite du quai aux chais. Telle une toile qu’une araignée aurait tissée, la dentelle élégante attise les liens de la fraternité. Son bleu métal émerge de l’onde calme, toise de toute sa hauteur l’arrière-pays et l’océan avant de s’agripper fermement aux précipices ennemis. Un vertige passe.

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A l’arrivée, le salut. La rotonde domine le maure, comme le minéral s’impose au végétal. Avant de se marier dans les fûts dorés. Mais les amours sont souvent affaire de patience, et les unions désirées peuvent être aussi triomphe des sciences. La réflexion passe, les quais apparaissent. En contrebas, quelques mouettes se disputent de menus restes.

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Les barques arquées sous le poids des barriques se balancent au rythme des vaguelettes vite croquées. Débarqué, le vin saute et file jusqu’aux façades aux lettres effilées aux doux accents anglais. Les étals sont en pierre brute et s’étalent en étages en éteignant, au passage, les espoirs de promenades paisibles. Alors le choix est roi entre les chais qu’il faut honorer.

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L’étonnement vient de l’empilement de tonneaux. Chacun est daté, presque signé si on tient compte des lettres gravées. C’est une chronologie gustative qui défile, les grandes années défient les communes qu’elles savent à l’oubli condamnées. Enfin le verre se présente, calice accueillant le délice aux teintes de fraise et d’excitation.

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Sorti de l’épreuve, l’esprit se grise en grimant l’ivresse. Heureusement elle n’est qu’illusion et le soleil permet de retrouver quelque retenue. Seul demeure un drôle d’accent, Tamise aidant, qui contraste avec le parler des Portuans.

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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 19:00

Il est quinze heures, et le soleil brûle la terre et nos corps dans le printemps finissant. Je viens de sortir de la maison, qui se situe à l’extrémité du bourg. Ma mère m’a demandé de faire ses commissions, et je profite de ces instants libres, où je suis maîtresse du temps, où chaque élément qui m’entoure devient jouet de mon imagination.

Les premières maisons sont calmes. Rien n’en sort. Ni bruit ni paroles. Les hommes arpentent la terre quand les femmes s’écorchent aux travaux invisibles et silencieux. Les champs d’alentour sont peuplés de ces mains âpres et calleuses, de ces corps suants et vaillants qui livrent le combat pour arracher quelques grains. Je les entends parfois s’interpeller, se réclamer, se rire les uns des autres.

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Jacques est au coin de la rue, attendant quelque complice pour s’enivrer des plaisirs enfantins. Il déguerpit à ma vue, craignant peut-être que son allure badine ne soit cause de mes dénonciations anodines. Je ne dirai rien. Après tout, sa mère n’en a que faire ; plutôt que de la gêner, en se libérant c’est elle qu’il libère.

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Je passe devant le garage. Une voiture y est garée, et deux hommes s’y affairent. Je reconnais Martin mais point l’autre, la tête cachée dans les complications mécaniques, les mains dévorées par la machine désormais silencieuse. Martin me voit ; il me salue, me sourit presque. C’est qu’il a des espoirs, que je ne veux ni décevoir, ni entretenir. Je rejette ma mèche de cheveux en arrière, glissant furtivement mes yeux vers les siens sans m’y attarder vraiment.

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Il sort et me suit du regard, puis retourne à l’atelier. Le bourg est plus animé, les femmes s’aèrent avant de reprendre le quotidien labeur. Le troquet, tenu par Marthe et Maurice, n’est animé que par les invectives sonores que s’envoient les jeunes époux. Leur mariage était beau ; paraît-il que l’affection qu’ils se portent se manifeste en colères qui, loin d’amuser les clients, les insupportent. Je passe mon chemin.

Oradour 604

La boulangerie est là. Un coup d’œil chez le boucher, qui attend que sa viande s’en aille, et j’entre dans la fraiche boutique. Les mains enfarinées, il est là le père nourricier, grignotant, pour tromper l’ennui, les fruits de son travail. Je compte les pièces, dépose la monnaie et file pain sous le bras vers la mère qui se demande sûrement ce que je fais.

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Mais j’arrive, j’arrive ma mère. Sommes-nous si pressés ? Nous ne sommes que le 9 juin, et l’été s’annonce beau. La guerre sera finie bientôt, et la vie continuera ici, à Oradour, comme tous les jours. Il y aura encore demain, et après-demain, et les autres jours pour se promener et s’inventer d’autres histoires. 

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10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 19:00

Trop impatient, Mortimer a préféré filer au bord de Seine plutôt que d’attendre son ami de capitaine. Se laissant tromper par le guide, le flegmatique scientifique longe les crêtes jusqu’à la vision mirifique. La Triumph use l’asphalte à peine durci quand le panneau d’entrée vient couper l’élan si vif.

Aux premières impressions heureuses viennent se superposer les méfiances dues à la baisse du jour. Les façades d’autour prennent des teintes cireuses qui rendent la lueur vespérale hasardeuse. Mortimer vient à une maison s’abriter. L’histoire glisse vers le fantastique cependant que La Roche-Guyon s’abandonne aux plaisirs oniriques.

La Roche-Guyon 883

Tandis que les limbes du temps perdent le héros dessiné, les nimbes par le vent ont perdu leur présence assurée. Le donjon délaissé par les jacqueries prend appui sur sa falaise, espérant apercevoir ses confrères du fleuve, lesquels gardent on ne sait quel côté, de l’aval ou de l’amont. Mais la ronde tour n’a plus de services à rendre ; elle a assez fait pour désormais se laisser surprendre.

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La colline n’a alors plus de valeur, si personne ne veut ni la prendre ni la défendre. Patiemment l’on descend, jusqu’à se plonger dans le village. Mais avant, la citadelle a pris ses précautions, et a légué aux habitants un ultime bastion. Moins austère et plus cosy, l’autre château se plait aux arcades et aux jardins. Son allure impose la force, mais ses secrets suggèrent de joyeuses noces.

La Roche-Guyon 881

La promenade suit un cours aussi apaisé que la Seine, bien moins accidenté que les aventures du professeur anglais. On se perd à chercher la maison qui l’a perdu, et l’on navigue entre les vignes toujours vierges et les volets toujours clos. On croit la trouver, la bove maléfique, mais on a seulement trouvé des colonnes blanches et une halle rien moins que classique.

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Alors l’on revient sur nos pas, un peu déçu et surtout curieux de voir si ce coin du Vexin a d’autres histoires à narrer. Celles-ci s’écrivent d’elles-mêmes, au hasard des pans de bois et des portes d’auberges. Ce sont des histoires en couleur, avec du blanc et du jaune, et du vert, beaucoup de vert, qu’assiègent pacifiquement les rouges et les bleus.

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Perdu dans la rêverie, l’on a à peine entendu la grande explosion. C’est l’ami Philip qui a réussi son évasion. Le piège était parfait mais Mortimer ne fut pas le seul à être pris dans les filets. Car la bande dessinée se destine aussi à la découverte, et les univers aussi réels qu’imaginés peuvent, l’instant d’une case ou d’un détour, étroitement se mêler.

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2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 19:00

Claque le vent, noircit le ciel. La mer vient, craintive, jusqu’à ces abords qui s’érigent en maîtres insurpassables. En face, l’Angleterre invisible, l’ennemi qui à l’instar des Tartares, demeure en pensées sans vouloir se montrer. Mais il n’y a pas d’adversaire que lointain, car ceux les plus proches sont ceux dont on se méfie le moins.

Pour parer à tout danger, réel ou potentiel, Boulogne s’est réfugiée. Ainsi voit-elle arriver de loin qui la convoite, et se prépare-t-elle à l’accueillir ou à le repousser. Heureusement ce genre de précaution ne prévaut plus, et la cité a préféré déposer les armes aux pieds de ses heureux promeneurs. Ils parcourent la ville paisible, ancienne citadelle du nord.

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Le hardi ressent quelque appréhension avant de passer sous les murailles. Point d’archers, ni de mousquets pour en empêcher le franchissement. Il se rend sans se battre, le beau port, l’entrelacs de ruelles, l’ensemble classique de pierres et de briques. Elles sont nues, ces maisons hautes, se parant parfois d’illusions de rocailles pour ne pas attenter à la pudeur.

Boulogne-sur-mer 401Boulogne-sur-mer 409

Au sommet du beffroi, la bannière pointe vers l’horizon. Que ne montre-t-elle, sinon son empire sur ces terres de caps et de vents. Elle pointe aussi vers la basilique au dôme bleuté, qui illustre d’un siècle les beautés et se cabre dans toute sa puissance contre les assauts de l’impiété. A tout moment elle revient, hérissant son casque au-dessus de toute atteinte, s’assurant la primauté des honneurs et des complaintes.

Boulogne-sur-mer 411Boulogne-sur-mer 418

La pluie hésite à venir. Le ciel se charge de noirs auspices, préférant au dernier instant renoncer à sa fureur rédemptrice. Le château, un temps inquiet, retourne à sa tranquillité. Ce beau polygone se laisse envahir, se plaisant à écouter les pas qui sur les pavés ricochent et dérapent parfois. L’entrée est close à cette heure, et derrière les fenêtres se devinent quelque trésor enfoui, quelque momie qui dort.

Boulogne-sur-mer 417Boulogne-sur-mer 420

Comme pour laisser l’espace nécessaire à son culte, une colonne s’est excentrée de cette citadelle désormais apaisée. A son sommet est un homme qui, main droite sur la poitrine, regarde de loin celle qu’il projetait de faire sienne. Ô l’immense colonne, est-elle assez haute pour dominer l’Albion ? Dans ce jour gris, il reste seul, la mer à ses pieds, la bourrasque comme compagnon, l’habit de caporal plutôt que le costume impérial.

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La Manche à l’occident, la route continue. Boulogne demeure sur son cap, comptant sur d’autres armées pour faire son renom. Chaque matin, ils partent vers celle qui les défie, et dont la ville s’est longtemps défiée. Ils en ramènent des richesses, certes, mais aussi des larmes qui ne se voient pas sur ces visages déjà inondés. Le château, le temple, les murailles sont autant de refuges ; si on les perd de vue, jamais ils ne nous quittent vraiment.

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  • : LM Voyager
  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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