Les portes du delicatessen se refermèrent et le soleil nous éblouit bientôt. Encore pleins des odeurs et des couleurs, il s’agissait désormais de faire quelques pas pour mieux digérer. Les rues toujours vives de la capitale hongroise affichaient le calme des heures chaudes du début d’après-midi. Quant aux bancs ombragés, ils étaient déjà pris ; il ne restait qu’à marcher.
Aucun plan n’eut eu une quelconque utilité ; le hasard décidait des directions, et les yeux se satisfaisaient de cette douce déambulation. Parfois, les promesses que semblent proposer deux possibilités suffisent à nous arrêter quelques instants. Mais l’esprit ne tergiverse jamais bien longtemps. Si bien que le jour passe, et que défilent sous nos yeux bâtisses soignées et immeubles imposants.
Passant une avenue large et bordée d'arbres, la légèreté disparaît bientôt. Une vision mauresque apparaît aussitôt. Deux hautes tours, d'ombres et d'ors, signalent la synagogue néologue. A ces couleurs, qui sont la vie et la mort, s'ajoutent la pureté du blanc et le sang des efforts. La chaleur elle-même se fait discrète, notamment aux abords de l'entrée secrète.
La kippa sur la tête vissée, nous pouvons pénétrer dans le temple sacré. Souvenir d'un Orient lointain mais jamais oublié, l'édifice renferme une quiétude que rien ne vient troubler. D'autres épisodes hantent le lieu ; leurs noms misérables : ghetto, rafle, sont les cicatrices de ce peuple honorable.
Les nefs graciles dégagent une quiétude fragile. Sur les bancs et sur les loges, le bois sculpté sait s'habiller de décors dorés. Et l'étoile de David jaillit comme un symbole fugace, tandis que sur les candélabres se reflètent les lumières des rosaces. Un pas vers la nef latérale, et le recueillement se fait plus facile, à l'écart des vitraux et des peintures.
La fraîcheur s'invite aussi dans le jardin. La nature, limitée, a laissé le soin aux hommes de la bâtir pour mieux la signifier. Au centre, entouré de pavés, l'arbre de fer garde les traces de nombreux noms amers. Les lettres restent quand les corps ont quitté leurs enveloppes terrestres ; le métal, autrefois arme, se fait désormais porteur de larmes. D'autres plaques et d'autres histoires sont restées gravées. Leur demeure est aussi bien la synagogue que les mémoires attristées.
De retour dans la rue, la chaleur a perdu de sa saveur. Certes la sueur se fraie toujours un chemin le long de nos cous, et certes les yeux savent toujours se faire curieux avant tout. Mais l'esprit pense à ces hommes tués et à ces femmes déportées. La tête dans le vague divague encore quand les jambes marchent. S'il ne s'agit pas de s'arrêter, il faut tout de même ne pas oublier.