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18 août 2013 7 18 /08 /août /2013 18:00

Les portes du delicatessen se refermèrent et le soleil nous éblouit bientôt. Encore pleins des odeurs et des couleurs, il s’agissait désormais de faire quelques pas pour mieux digérer. Les rues toujours vives de la capitale hongroise affichaient le calme des heures chaudes du début d’après-midi. Quant aux bancs ombragés, ils étaient déjà pris ; il ne restait qu’à marcher.

Aucun plan n’eut eu une quelconque utilité ; le hasard décidait des directions, et les yeux se satisfaisaient de cette douce déambulation. Parfois, les promesses que semblent proposer deux possibilités suffisent à nous arrêter quelques instants. Mais l’esprit ne tergiverse jamais bien longtemps. Si bien que le jour passe, et que défilent sous nos yeux bâtisses soignées et immeubles imposants.

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Passant une avenue large et bordée d'arbres, la légèreté disparaît bientôt. Une vision mauresque apparaît aussitôt. Deux hautes tours, d'ombres et d'ors, signalent la synagogue néologue. A ces couleurs, qui sont la vie et la mort, s'ajoutent la pureté du blanc et le sang des efforts. La chaleur elle-même se fait discrète, notamment aux abords de l'entrée secrète.

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La kippa sur la tête vissée, nous pouvons pénétrer dans le temple sacré. Souvenir d'un Orient lointain mais jamais oublié, l'édifice renferme une quiétude que rien ne vient troubler. D'autres épisodes hantent le lieu ; leurs noms misérables : ghetto, rafle, sont les cicatrices de ce peuple honorable.

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Les nefs graciles dégagent une quiétude fragile. Sur les bancs et sur les loges, le bois sculpté sait s'habiller de décors dorés. Et l'étoile de David jaillit comme un symbole fugace, tandis que sur les candélabres se reflètent les lumières des rosaces. Un pas vers la nef latérale, et le recueillement se fait plus facile, à l'écart des vitraux et des peintures.

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La fraîcheur s'invite aussi dans le jardin. La nature, limitée, a laissé le soin aux hommes de la bâtir pour mieux la signifier. Au centre, entouré de pavés, l'arbre de fer garde les traces de nombreux noms amers. Les lettres restent quand les corps ont quitté leurs enveloppes terrestres ; le métal, autrefois arme, se fait désormais porteur de larmes. D'autres plaques et d'autres histoires sont restées gravées. Leur demeure est aussi bien la synagogue que les mémoires attristées.

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De retour dans la rue, la chaleur a perdu de sa saveur. Certes la sueur se fraie toujours un chemin le long de nos cous, et certes les yeux savent toujours se faire curieux avant tout. Mais l'esprit pense à ces hommes tués et à ces femmes déportées. La tête dans le vague divague encore quand les jambes marchent. S'il ne s'agit pas de s'arrêter, il faut tout de même ne pas oublier.

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10 août 2013 6 10 /08 /août /2013 18:00

C’est un pays si plat qu’on eut pu le chanter comme tel. Mais le grand Brel préféra à ce pays le sien. Il ressort tout de même que la réputation de l’un peut rejaillir sur l’autre, et qu’à celui déjà célébré on privilégiera son cousin délaissé. Ainsi le voisin belge attendra, et laissera au Nord la place de choix.

Le plat pays l’est-il autant que ça ? Certes les terrils dressent des montagnes, et le surnom de noir convient alors mieux à ce qui forgea des générations d’âmes. Pourtant dans la Flandre française, il est une colline que surmonte un moulin, qui surmonte à son tour les champs et les forêts d’autour.

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Cependant le vent n’a plus l’occasion de faire tourner les pales de cet homme étrange, qui bat le grain et rassure la grange. Le temps, comme les ailes, s’est arrêté à Cassel. A travers les ruelles descendantes, le bourg est bientôt atteint. Aux briquettes rouges se joignent les roses écarlates, qui au moindre souffle bougent et parfois éclatent.

Cassel 789Cassel 788La terre, bien que cuite, est souvent rattrapée par les fleurs qui l’envahissent. Car la terre, bien que construite, ne peut guère s’affranchir de ses origines agrestes. Sur la Grand-Place, propre aux villes flamandes, certaines bâtisses se distinguent de leurs voisines par des jeux d’arrangements et de couleurs. Elles empruntent même à un vocabulaire classique les raisons de leur orgueil accrocheur.

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Les mêmes vanités se retrouvent plus loin, quand tout relief a de nouveau disparu et que l’homme ne voit plus l’horizon que de sa courte taille. Forte de son château en brique et des maisons bourgeoises qui l’imitent, Esquelbecq fait montre d’une variation de rouges jusque sur ses toits.

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La petite place, qui concentre du village toutes les demeures d’importance, est dominée par l’église. Telle une halle germanique, elle présente trois nefs identiques, dont l’harmonie, rompue par les piliers, retrouve grâce à eux rigueur et légèreté. Et si les flammes ravagèrent l’édifice sacré, ce ne fut que pour prétendre un peu plus au statut de miraculée.

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Dans le plat pays apparaissent parfois quelques contradictions. Celle d’une colline, tout d’abord, qui briserait une réputation si elle n’était pas prétexte à quelque admiration. Celle, ensuite, de pierres qui ne sont pas briques mais qui, taillées dans le roc, rehaussent la richesse de ces villages typiques.

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2 août 2013 5 02 /08 /août /2013 18:00

Le soleil se couche et une main se lève. Dans l’horizon aux teintes chaudes se devine un salut amical, tandis que se ternit l’émeraude. Le frêle esquif, poussé par la force humaine, esquive habilement jusqu’à son ombre même. Il glisse sur l’eau, rentrant au port, quittant pour une nuit le marais qui déjà dort.

L’océan n’est pas loin. On voudrait sentir ses embruns salés, mais rien ne parvient dans ce marais poitevin. Le jour est revenu, et avec lui la vie qui fourmille. A chaque instant son bruit : branche qui craque, feuille qui tombe, vent qui caresse. A chaque moment son cri : les rongeurs qui grignotent, les carpes qui remontent, les oiseaux qui pépient.

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Univers clos, labyrinthe d’eau. Les canaux sont les rues d’une ville de nature, dont les rives fragiles sont les trottoirs et les arbres solides les immeubles. Par-dessus les têtes, les ramifications enferment le ciel. Cependant son absence impossible garantit la douceur d’un après-midi hors du temps.

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Quelques vaches, ici et là, qui sont les seules habitantes visibles. Prisonnières de leur enclos sans clôture, elles ont accepté leur sort pour autant que soit assurée leur quotidienne ration. Le regard vague, la mâchoire ruminante encore, elles voient les curieux passer tandis qu’elles paissent.

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Inlassablement, le pigouilleur remue la vase. Au fond, probablement, une tempête déclenchée régulièrement. Le rythme régulier de ce long bâton berce l’embarcation d’un balancement calme et nonchalant. Et quand il sort des abîmes où il était plongé, l’outil provoque un léger clapotis ; ce sont les gouttes solitaires qui retournent à leur immensité.

Marais poitevin 710

Sur les îlets abandonnés, la berge ne masque pas les exubérances. Parfois même, elle les contient à peine ; des troncs courageux tentent d’établir des ponts vers ces autres mondes. Cependant c’est à l’approche des quelques villages qui émaillent le marais que des ponts, réels, indiquent la promiscuité des demeures humaines et la fin proche de cet unique écosystème.

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La barque accoste enfin sur le ponton. Retrouver la fermeté peut s’avérer périlleux car les flots, bien que paisibles, s’octroient souvent le spectacle d’une danse hasardeuse. Retrouver les maisons, c’est oublier cette verdure, cadeau si apaisant de la nature. C’est aussi garder le souvenir des mystères de la proximité, des invisibles tumultes et des terres séparées.

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25 juillet 2013 4 25 /07 /juillet /2013 18:00

Au milieu du parc, un homme erre. En fait, il va à la rencontre d’autres hommes, le dos courbé, les mains enterrées, le front ruisselant. Dans un murmure de gascon chantant, il demande comment vont les uns, si les fruits de la terre iront bien, et s’enquiert de cet été qui frappe soudainement.

En bon baron, sa tête est à la ville quand son cœur est à la terre. Une terre familiale, éloignée des affres du Parlement et de tout juridique règlement. A l’orée des forêts giboyeuses, des sillons creusés, au bord de l’eau qui frémit, peut-être que dans son esprit naissent des personnages curieux et éloignés.

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Charles-Louis rencontre Rica ; Usbek bientôt arrivera. La plume gratte, les feuillets s’accumulent, l’encrier désespère. A la fenêtre, près du bureau, le soleil ricoche sur les carreaux. Le domaine en est inondé ; il vaudrait mieux sortir.

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Les terres de Perse connaissent-elles ces verdures ? Ont-elles seulement ces moulins immobiles que même le vent n’ose déranger ? Sont-elles parcourues par les mêmes eaux sombres, qui tressaillent et se dispersent à chaque contact inattendu ? A côté des palais de Suse ou d’Ecbatane, la Brède a un avantage : être.

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Respecté par la forêt, le castel est comme une forteresse de paix. Ses pierres se mirent dans le beau manteau noir qui les baigne. Et à ses extrémités, quelques tours timides tentent d’interdire de rêver. Peine perdue puisque l’ancien maître des lieux a montré l’exemple.

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Dans la petite cour, la lumière entre prudemment. Elle éclaire pourtant le blason et les devises, qui entretiennent les mémoires de gloire éprises. Sous le portail puis sur le pont, le temps s’arrête. Les fleurs sont épanouies, les arbres sont par leurs feuilles alourdis et une brise légère ranime et rafraîchit.

La Brède 693

Dans leur périple, Rica et Usbek n’ont pas connu la Gironde. Ils n’ont pas visité leur hôte créateur, qui les imaginait s’étonner d’un quotidien d’antan. Existent-ils seulement, ces regards acérés ? Loin du tumulte des pensées et des procès insensés, le château coule des jours paisibles. Il conte une histoire agréable et sensible. Il conte la tolérance possible et charitable.

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17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 18:00

Ils sont alignés, ces fiers guerriers que le roi inspecte. Tous ont participé à la victoire et chacun veut désormais une part de la gloire. L’armée patiente, il s’est arrêté. Face à lui, un homme. Les orgueils s’excitent et s’épuisent, s’invectivent et s’exècrent. Un vase tombe. Une tête le suit.

L’épisode est connu. Pour un bien qui lui semblait sien, le roi a laissé aller la violence de sa main. Et la légende rapportée au lieu en fait un trésor local et prestigieux. Mais la cité a évolué, et les fureurs sont depuis longtemps retombées. Soissons est désormais une ville tranquille et pacifiée.

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La paix l’habite, et à plus d’un titre. La Picardie est terre de cathédrales ; Soissons ne pouvait échapper à ces constructions vénérables. Dédiée à Gervais et Protais, le siège épiscopal révèle une asymétrie remarquable. Le septentrion manque à l’appel ; sur les façades les volutes et les sculptures tentent de masquer ce pêché originel.

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Le cœur révèle clarté et luminosité. Les piliers s’élèvent, gardant en hauteur une masse qu’on sait rassurante. Dans le chœur, les vitraux jouent de divisions et de couleurs. La narration imagée trouve un écho dans les textes sacrés. Même si le mystère peut parfois rester entier.

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La cathédrale est bien entourée. Au nord, c’est une sœur qui est restée fermée. Un jardin rend à la cité un peu de végétal. Cependant c’est le sud qu’il faut placer en piédestal. Au premier abord, l’abbaye semble dévastée. Mais derrière les façades qui seules sont demeurées, une lueur solaire indique la voie à explorer.

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Tout est resté, sauf l’abbatiale. Au sol, les vestiges font rejaillir les dimensions dans l’imagination. Ce qui n’était que profane a tenu bon ; les moines retrouveraient le cellier et les salles de réunion.  Ils ne se perdraient pas comme nous le faisons, attirés par les ruines et par les rumeurs d’oraison.

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Le sang qui a coulé est aujourd’hui bu. Ce symbole coule, dans la guerre comme dans la piété. Soissons n’y a-t-elle pas construit sa certaine renommée ? Par l’un, profane et humain, elle a établi son nom. Pour l’autre, sacré et divin, elle a érigé parmi les plus belles constructions.

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9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 18:00

Cinq coups très rapides. Un silence. Un autre coup. Et deux autres qui suivent, s’espaçant poliment pour être sûrs d’avoir toute l’attention du public. Celui-ci attend ; les derniers murmures défient le calme qui s’installe. Agacés, des yeux réprobateurs se retournent à la recherche de la source de cet insupportable outrage.

Enfin le rideau s’écarte. Le lourd velours bruisse légèrement, et quelques toussotements viennent troubler l’agitation quiète qui bout déjà. La scène, l’immense scène, est là, sous les yeux de tout le monde. Une vive clarté a envahi la salle, salle dont les murs sont invisibles, trop loin probablement. Le théâtre, c’est la ville. C’est Pézenas.

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Les spectateurs ne sont pas assis, comme il sied pourtant. Ils marchent, se pressent, courent parfois, hèlent un tel qu’ils connaissent bien. Le silence n’est que le nôtre, devant la cité dans laquelle il faut se décider à entrer. Tout est haut, écrasant, et, pourtant on le devine, brillant. Suivant les illustres pas de Molière, nous foulons ces pavés, à l’ombre des balcons et des palmiers.

Pézenas 379

Les acteurs tardent à se découvrir. Peut-être ont-ils peur, ou peut-être ont-ils oublié leur texte. La déambulation commence alors, hésitante d’abord, franche par la suite. Là-haut, les loges. Personne ne s’y tient, et les volets fermés gardent une fraîcheur qu’on ne trouverait ni dans une telle cité, ni dans un théâtre populaire. Plus bas, d’autres parterres arborent le même visage clos ; c’est ici-bas que se jouera le destin des héros.

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Si personne ne veut se montrer, qu’à cela ne tienne. Les décors sont bien plantés, et les plantes qui s’en sont emparés s’essaient à quelque acrobatie clownesque. Les décors sont riches et variés ; la pièce est probablement historique. Les fenêtres à meneaux sont médiévales et les frontons sont classiques. D’une tour jaillit quelque garde hagard, et de l’hôtel une jeune dame aimable.

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Une margelle blanche, l’ombre d’un arbre et le fer virtuose. Un travail impressionnant, qui annonce des dialogues renversants. Mais patientons encore, les ruelles sont encore nôtres tant que le régisseur nous autorise. Il émane de ce gentil cadre une lumière apaisée, aux parfums d’or et d’ocre.

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Le théâtre se mue en labyrinthe. Monter et descendre, se repérer et se perdre se combinent aisément, sans que l’esprit ne comprenne ni ne consente. De ce jeu, nous sommes les acteurs sans spectateurs, sur une scène qui se suffit à elle-même, sans autre toit que le ciel et sans autre récompense que les images que nous en emportons.

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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 18:00

Avec quoi ça rime, une ville ? Au-delà des monuments, des rues et des passages, en oubliant les places, les tours et les cathédrales, la ville se définit d’abord parce ce qui ne peut pas l’être. Un détail, une anomalie, une atmosphère, un instant, une saison. Un mot vient au détour d’une rue, que les autres rues confirment et amplifient. D’autres surgissent, certains disparaissent ; ainsi nait l’idée.

Posée au bord de la Méditerranée, Barcelone apparait presque entièrement au voyageur qui s’en approche. Le port est grouillant ; le commerce a plus à y faire que la pêche. Dans l’eau, des curiosités viennent à la surface constater la mêlée. Filaments blancs dans l’eau bleue. Ultimes moments sur les quais chaleureux.

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L’explorateur a montré la voie. Mais une vanité rouge barre le chemin. Sous l’arche de feu, immense bloc de briques, le ciel s’obscurcit. A peine est-elle passée que c’est l’Eden : une allée immense, bordée d’arbres exotiques, avec l’horizon et la mer comme destination idyllique. Derrière, la vanité flamboie toujours, seulement modérée par les bas-reliefs où se jouent batailles perdues et immobiles destinées.

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Après le sable qui crisse, l’asphalte qui brûle et se consume. Sans cesse battu par les pas pressés, il est aux pieds d’une ville qui aime la couleur et l’originalité. Portes vermoulues, crépis lacunaires ou courbes révolues, la catalane exhibe ses atouts dans une ardeur libertaire.

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Quant à la fraîcheur, bien que rare, elle sait se faire désirer. A la suite d’une montée harassante, un parc distille son ombre en des sentiers qui serpentent. Quelques bancs de mosaïque offrent une pause artistique. Au-delà des virtuosités bariolées et des salamandres figées, une tour phallique s’élève ; c’est le cœur amoureux et brûlant de la ville.

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Les hauteurs deviennent alors le repaire du salut. Le vent s’y fait connaitre, au milieu des installations des architectes. Montjuic, mont éclectique. Où des éléments inconnus pointent vers le ciel leurs flèches biscornues. Où les statues regardent les stades qui dominent la Catalogne et l’Espagne.

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A quoi ça rime, une ville ? A tout et à rien, à l’esprit d’un instant et au regard de chacun. Les attentions se concentrent mais ratent tout, et les têtes pensent comprendre alors qu’elles ne savent rien. La ville, dans son immensité, échappe aux velléités qui veulent l’englober. Seule la communauté rassemble les images, qui, peu à peu, révèlent de la ville ses beautés et ses charmes cachés.  

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 18:00

Par tout temps, le vent rugit. Sans arrêt ni mélodie. Son sifflement paraît toujours plus aigu, et sa violence redouble. Parfois, une accalmie parvient, où le silence jette un instant sa puissance pour mieux saisir ce qui est. Puis reprend la symphonie infernale, comme une promesse effrayante, qui ravage la lande vassale et nos tendres tympans.

Sur les gouffres amers, nul navire glissant. Et nul albatros. C’est un désert de bleus qui s’étend. En haut, le bleu calme, paisible, clair, à peine troublé par quelque esquisse blanchâtre, où pâlit un timide soleil d’avril. En bas, le bleu affolé, déchaîné, obscur, aux lignes sans cesse changeantes, où ne paraît rien.

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Le voici le bout du monde. De ces terres qui regardent l’océan, en pensant qu’il n’y a probablement rien derrière. C’est le goût de l’amer, celui de la fin du voyage, qui jaillit en nous. C’est le goût du sel, celui de la mer, qui envahit notre bouche. De la rage maritime émerge l’écume, qui strie le paysage et lui donne d’hypothétiques frontières.

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L’ultime terre avance, pauvre, vers son destin. La rocaille brute et l’herbe nue se côtoie en une danse funèbre. Les tons varient peu ; le peintre local a peu de touches sur sa palette. Quelques verts, les multiples déclinaisons du blanc et du gris, de l’azur enfin, à outrance et à passion, puisque la route s’y dirige.

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Une chapelle se dresse pour les disparus. Un hommage aux vies perdues. La croix symbolise l’homme. Lui, le pêcheur, dépêché par sa condition, empêché par les conditions. Lui, le vivant et le mort, parti au creux des vagues pour ne jamais en revenir. Le petit temple fait pourtant face à l’étendue forte et infinie.

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Et la couleur ? Ce monde presque tricolore, où se grisent les verts azurés, n’en connait que peu. Seules, de rares fleurs courageuses, contre l’adversaire invisible qui plie et rompt parfois. Des pétales si fins qu’on voudrait les couvrir. Mais la résistance se glisse dans des corps bien anodins qu’on se fatiguerait à découvrir. Elles rougeoient et rosissent ; la vie si entière ici ne les a pas noyées.

Cap Sizun 462

Cap Sizun, cap lointain. Deux doigts dans la fureur marine, qui s’y plongent et s’y abîment. Jour après jour, le combat fait rage, de cette tempête océane qui bat le roc jusqu’à le polir et l’engloutir. Image de la puissance, où la violence égale la beauté. Où chaque pas exprime le désir du danger.

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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 18:00

Le rideau avait-il bougé ? Pourtant, il n’avait pas semblé. Probablement un courant d’air, une porte mal fermée, quelque esprit moqueur. A la fenêtre, les carreaux reflétaient la timidité d’un ciel bientôt automnal. De l’intérieur, on ne pouvait rien distinguer. Pas même une ombre qui passe. Rien que les ténèbres opaques.

Le château est paisible. Posé sur sa presqu’île, il règne sur un domaine modeste, marqué par les forêts et l’eau pacifique qui dort. A sa surface, les lentilles s’éparpillent, s’étendant jusqu’aux bords qui s’accordent à la végétation environnante. Face à elle, l’eau n’a que des limites : le château, la terre et la pierre se rejoignent. Face à lui, le château n’a que des vassaux, qui se soumettent et l’embellissent plutôt.

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D’allers en retours, nous voici dans la plus belle des tours, celle de l’escalier. Prenant de l’avance sur le corps, il rompt aussi par ses décors, tout en profusion et exactitude. Une première salamandre indique le temps. Idée de renaissance, parfum italien. Azay-le-Rideau 074

Dans cet univers tout de blanc paré, c’est peut-être vers le paradis que se fait la montée. Comme autant d’anges, le ciel immédiat est recouvert des emblèmes anciens et des médaillons des possibles châtelains. La face de profil, le port altier, vanité humaine et délice de l’art. Les modes varient, mais point les orgueils. Mais aujourd’hui, de cette demeure qu’on appelle Azay, ils ne sont plus que les hôtes accueillants.

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En prenant de la hauteur, on en vient aux détails. Sur les ardoises bleutées ressortent les pignons d’une pâleur immaculée. C’est un langage mystérieux qui y est inscrit. Des signes qui se décryptent par la seule minutie, qui se révèlent par l’unique réflexion. Un livre brut qui renferme les secrets du lieu.  Azay-le-Rideau 097Partout, la salamandre. Elle nourrit et éteint, et les flammes qui sont sa pitance ne sont que sculptés ou scripturaires. Les flammes imaginaires ont laissé le mobilier intact, riche et parsemé. Les essences de bois côtoient les antiques fils de tapisserie, les vertus musiciennes se mêlent aux scènes inconnues. Azay-le-Rideau 117Azay-le-Rideau 114

Les fauteuils sont réservés aux invisibles visiteurs. Le corps demande repos quand l’âme jouit pleinement de chaque recoin de ce décor. Le corps attendra puisque les yeux se repaissent. Et à la fenêtre, ils regarderont les étendues vertes et bleues. Et peut-être qu’en contrebas, quelqu’un percevra un mouvement et pensera, après un instant, qu’il rêve probablement.

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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 18:00

Dans un éclat de voix, le bouchon saute. Le précieux liquide se répand vite, et les premiers verres tardent à se présenter. La riche mousse se déverse, comme une fontaine de jouvence qui jamais ne tarit, mais la perte est minime ; plus encore, c’eut été un crime. Tour à tour, dans un ballet incessant remontent les bulles vers les lèvres impatientes.

« Champagne ! » annonceront les uns ; d’autres se contenteront du pétillement sur les papilles. Mais il est une ville qui, hasard conciliant ou volonté déterminée, s’est bâtie tel un hommage à la boisson renommée. Sur les bords de Seine, les vignes proches, la Bourgogne en voisine, Troyes élabore sa spécificité.

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Le long d’une artère principale revivent les antiques échoppes médiévales. Les marchands disparus, les tanneurs oubliés, que reste t-il de ces riches années ? La ville, centre du monde au moment des foires, s’est aujourd’hui concentrée autour de son terroir. Un patrimoine exceptionnel, une conservation que l’on penserait éternelle.

Troyes 338

Les pans de bois sont légion. A chaque rue, de la venelle à la ruelle, se célèbre une maison. Telle corporation et tel grand personnage s’y sont succédé. Il ressort de ces essences taillées la main de l’artisan minutieux et la magnanimité du négociant orgueilleux. Architecture savante, aussi bien que délicate, qui conjugue de sombres encorbellements et des parallèles écarlates. Troyes 323Troyes 350

Le maillage urbain est resté en l’état médiéval. Les paroisses se chevauchent, se concurrencent. Saine émulation qui pousse à l’art. L’enseignement n’est toutefois pas que religieux. Sur les murs des églises sont restées les empreintes des profanes méfaits. Mais s’arrêter à ces gravures serait indécent ; et pousser la porte de ces temples reste une meilleure décision. Troyes 345Parfois, le génie humain confine au divin. L’antre de saint Pantaléon en est un témoin, qui vénère la Renaissance au-delà de ce qui est besoin. Dans une atmosphère dorée, une rangée de saints, qui sont du temple les gardiens. Des vitraux émane une lumière doucement puissante. Le livre y est narré dans une grisaille apaisante. Splendide et remarquable, l’ensemble possède l’attrait de la perfection et le secret de la discrétion.

Troyes 389Troyes 400

Fort heureusement, ce bouchon là n’a pas sauté. Le charme qui s’en dégage a le parfum suranné des crus d’exception. L’abondance qu’on y découvre est pareille aux surprises que recèle une dégustation. Point d’éclats, point de bulles mais une même profusion, une même diversité dans l’unité. D’où le plaisir à y revenir.

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