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6 avril 2018 5 06 /04 /avril /2018 18:00

Leurs os étaient trempés et ils grelottaient. Toute l’après-midi, il avait plu et toute l’après-midi, le temps avait été frais. Ils grelottaient à présent, claquaient des dents, se recroquevillaient sur eux-mêmes pour trouver, quelque part, une source de chaleur. Tous les deux, sous un toit, sous un immense toit, ils grelottaient, reniflaient avec peine, fermaient les yeux pour ne pas sentir le froid s’insinuer en eux.

 

Ils avaient un petit brasero à leur disposition. Un brasero qu’ils avaient oublié de redescendre à la fin de l’hiver. Un brasero qu’ils voyaient chaque jour et à propos duquel ils plaisantaient, chaque jour. Ils se disaient, chaque jour, qu’il leur faudrait le descendre, qu’il leur faudrait le ranger. Ils se disaient, chaque jour, qu’ils allaient peut-être le laisser là pour attendre l’hiver prochain. Mais, les os trempés, ils grelottaient. Mais, les os trempés, ils ne plaisantaient plus.

Trente ans et douze heures
Trente ans et douze heures

Ils allumèrent le brasero et ils se réchauffèrent. Ils sentirent leurs os se réchauffer. Ils ouvraient de grands yeux pour mieux absorber la chaleur, la retenir, l’aimer. Sous la vaste charpente de bois, la forêt de châtaigniers, ils ouvraient les bras, tendaient leurs mains, se rapprochaient des charbons ardents. Dehors, la pluie avait cessé. Mais cela ne les intéressait plus, car ils en avaient terminé pour cette journée, car leur seul intérêt désormais était de se réchauffer.

Trente ans et douze heures
Trente ans et douze heures

La journée était terminée, il fallait redescendre. Rentrer chez eux, retrouver leurs familles, leurs enfants, manger la soupe, se coucher, dormir profondément. Sous la vaste charpente de bois, ils étaient seuls. Ils rangèrent leurs outils, avec soin, comme tous les soirs. Ils se dirigèrent vers la porte, comme tous les soirs, descendirent les escaliers, contemplèrent l’immense cathédrale, sa nef, ses vitraux éblouissants dont le bleu faisait la renommée de la ville, l’espace sacré, les stalles. Puis ils franchirent les portes et s’en allèrent.

Trente ans et douze heures
Trente ans et douze heures

A la sortie, ils croisèrent deux jeunes hommes, élégamment habillés. Ils les saluèrent d’un murmure inaudible, car ils avaient du savoir-vivre, car ils étaient fatigués, car ce type de jeune homme les arrêtait souvent pour leur parler. Leur parler de la cathédrale. De la cathédrale de Chartres. De ce temple qu’on voyait de si loin, de ces tours dont on parlait avec admiration, de ces vitraux qu’on lisait comme un feuilleton. Parce qu’ils ne voulaient pas parler, ils les saluèrent dans un murmure.

Trente ans et douze heures
Trente ans et douze heures

Ils partirent se coucher. Chacun chez soi. Sous leur toit. Celui de leur logement. Dans un immeuble de la basse ville, près de la rivière. Ils dormirent, chacun chez soi, leurs enfants auprès d’eux, leurs épouses à leurs côtés, d’un sommeil de plomb, sans rêves, abrutis de fatigue, abrutis de froid. Dans la nuit, ils sont réveillés. Par les cris, par leurs voisins. La cathédrale brûle. Ils sortent de la couche, encore perclus de fatigue. La cathédrale brûle. Ils restent là, les yeux écarquillés, la cathédrale brûle, le ciel rougeoie, la cathédrale brûle, la forêt brûle.

Trente ans et douze heures
Trente ans et douze heures

Le lendemain, le feu est éteint. La nef est toujours debout. L’autel, les stalles, le labyrinthe ont survécu. Survécu à l’incendie. Incendie provoqué par un brasero. Brasero placé sous la charpente. Charpente sous laquelle se sont abrités deux ouvriers détrempés. Transis de froid. Des ouvriers qui ont vu, dans la nuit, des flammes lécher le ciel noir, et les étoiles. Des étoiles que l’on pourra observer, ce soir, cette nuit, sans quitter les bancs de la cathédrale.

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31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 18:00

Ça, pour sûr, on s’était bien battus. Et sous le soleil, en sus ! Un soleil comme, par chez nous, on en a trois ou quatre fois dans l’année, quelque chose de dur, d’écrasant. Surtout quand on porte une cuirasse. Et la hallebarde, et le casque, et les pieds enfoncés dans des bottes qu’au camp, le soir, on ne peut pas retirer. Ah, on l’avait méritée, notre récompense. Nos jolies pièces. Notre bel or. Cent mille, qu’ils en ont donné. Je dis vrai : cent mille !

Pour leurs vies, ils ont versé cent mille livres. Avec les autres soldats, on riait de tant de préciosité. Entre nous, on disait : jamais nos vies ne valent cent mille livres. La leur, si. En tout cas, c’est à ce prix qu’ils l’estimaient, et c’est à ce prix que le bon roi Louis a bien voulu la leur laisser. Moi, ma solde, c’est quelques pièces, de quoi manger s’il ne faut pas vivre sur le pays, et surtout de quoi s’amuser quand on arrive dans les villes.

Cent mille livres d’or
Cent mille livres d’or

Je disais qu’on s’était bien battus. On a bien marché aussi. A travers tout le royaume. On l’a vu, le royaume : de long en large, et quand on ne l’avait pas assez vu, on retournait sur nos pas, comme si on allait en faire une carte, du royaume, et qu’on serait les géographes, et qu’on devrait être minutieux. Donc, après nous être rendus maîtres de la Saintonge, le roi a voulu qu’on mette de l’ordre dans le Languedoc. C’est ce qu’on a fait.

Cent mille livres d’or
Cent mille livres d’or

Nous avions déjà longé la Garonne puis l’Aveyron quand nous sommes arrivés devant Saint-Antonin. La rivière offrait une défense à la cité et dans le camp, la noblesse parlementait pour déterminer comment on la prendrait. Le régiment du Normand se tenait droit, prêt à attaquer quand celui du Bourbonnais préférait attendre, les fesses à terre, qu’on les sonne pour se lancer. Le temps que ces messieurs se décident, nous, on observait. En face, ils tremblaient.

Cent mille livres d’or
Cent mille livres d’or

Pour vous dire la vérité, on pensait être mieux accueillis. La peur : c’est ce qui les galvanisait. Ils avaient eu des nouvelles de Nègrepelisse où nous avions fait nos œuvres : hommes, femmes, enfants, vieillards, impotents : tous au fil de l’épée. Ou pendus à une branche. Et la ville : rasée, brûlée, pour qu’il n’en reste que des souvenirs eux-mêmes enfumés. C’est cela qui les effrayait, à Saint-Antonin. Et nous, c’est ce que nous voulions recommencer.

Cent mille livres d’or
Cent mille livres d’or

Plusieurs jours durant, nous attaquâmes. On canonnait les murailles, on canonnait les huguenots, on canonnait en espérant voir une brèche se former. Les gardes françaises y allèrent et les femmes les repoussèrent. Les femmes ! De sacrées, ces huguenotes, le diable leur tient le corps. Et l’âme aussi. Si vous aviez vu leurs yeux : fous, injectés, terrifiants ! Elles hurlaient et frappaient, et nous en retour faisions de même, c’est la guerre, et à la fin c’est nous qui gagnâmes.

Cent mille livres d’or
Cent mille livres d’or

La ville était ravagée, ses habitants étaient tués. Nous-mêmes avions dans nos rangs de lourdes pertes. Des gars que je connaissais, que j’avais défendus et qui m’avaient sauvé. On voulait les trucider mais Louis leur a accordé quartier. Quartier ! A des huguenots ! Il regrettait l’autre massacre. En retour, il a exigé une rançon, un tas d’or comme nous n’en avions jamais vu. En face, ils se sont exécutés. On aurait voulu le faire à leur place.

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 18:00

L’heure du départ avait sonné. La Giralda indiquait, de sa grosse voix de bronze, les premières heures de la matinée. Jusqu’à une date récente, on avait attendu fiévreusement dans les quartiers commerçants que la nouvelle soit rendue officielle par un acte du roi. Une lettre était parvenue à l'ayuntamiento, la semaine passée, déclarant, après quelques circonlocutions, que Séville était délaissée. Désormais, c’est à Cadix qu’il faudrait traiter. On laisserait là la ville et son histoire puisque le Nouveau Monde se déplaçait.

La famille Morel vivait dans cette ville depuis trois générations. Du royaume de France, ils n’avaient que les images de voyages fugaces, qui se déroulaient une fois l’an si les finances le permettaient. L’aïeul, las de devoir passer par des intermédiaires qui le ruinaient, avait décidé un jour de partir s’installer dans ce grand port. De là, on s’embarquait alors pour les Amériques. Terres fabuleuses où l’or, disait-on, doit pousser sur les arbres, où l’argent, affirmait-on, sort de terre et que les indigènes ramassent comme nos paysans cultivent péniblement leurs maigres légumes. Séville était la porte de ce monde.

Sans retour
Sans retour

Lui, son épouse, leurs fils et leurs filles, arrivèrent par la terre un jour de printemps brillant. Grâce à leurs économies, ils avaient acquis une maisonnée, à quelques pas du fleuve. Surtout, ils étaient proches de la Casa, ce bâtiment immense et vénérable où tout se décidait. Le Nouveau Monde s’élaborait ici, entre les solides murs de cette caserne de la loi. L’impôt qu’on acquittait, la marchandise qu’on contrôlait, les pilotes que l’on formait : l’Amérique avait un prix qui se réglait en or ou en temps.

Sans retour
Sans retour

Peu à peu, on se rapprocha des compatriotes. Dans la foule, au cœur du tumulte mélodieux de la langue espagnole, on reconnaissait des bribes de français, prononcé de mille façons. La ville était une ruche. Que l’on comprenne ou non la langue de l’autre, chacun comprenait très bien son intérêt, et une poignée de main valait toutes les palabres que l’on s’évitait. Et, à force de les entendre, on les baragouinait, ces langues, tant bien que mal, jonglant hasardeusement entre les mots que l’on savait, les mots que l’on croyait savoir et ceux que l’on espérait qu’ils existassent.

Sans retour
Sans retour

Génération après génération, on avait fait de Séville sa ville d’origine. Certains des frères et sœurs, et des cousins, repartaient en France. Ils y devenaient des contacts privilégiés, des ancres commerciales auxquelles rattacher les bateaux que l’on envoyait vers l’Europe. On se réjouissait des heureux événements par lettres interposées ; on pleurait pour un proche des larmes d’encre noire que venait enfermer un sceau de cire rouge. Entre les familles demeurait le bleu de la mer.

Sans retour
Sans retour

Lentement, année après année, le port s’était asséché. Ensablé. On ne voyait plus les grands navires qui remontaient le fleuve, le vert Guadalquivir, pour être déchargés d’épices et de tabac, mais surtout de métaux. Les marchandises qui arrivaient étaient transportés sur de petites chaloupes jusqu’à Cadix. Là, enfin, on les chargeait dans les cales, puis tout l’équipage montait à bord, et les canons, placés sur d’autres navires encore, commençaient à escorter les précieux bagages. A Séville, il n’y avait plus guère que l’impôt qui irriguait les caisses royales. Cela ne pouvait que cesser.

Sans retour
Sans retour

Effectivement, cela cessa. Le roi Philippe mit un terme à l’agonie de la belle andalouse. Et la famille Morel, comme les autres familles françaises, italiennes, espagnoles, allemandes, anglaises, partait avec la Casa s’établir près du promontoire qui domine tout à fait l’Atlantique. La Giralda s’était tue. Dans les rues, un morne silence flottait. Le printemps, décidément, ressemblait à l’automne. Séville s’endormait. Et, appelés par les métaux précieux, attirés par les richesses qu’ils ne voulaient pas laisser orphelines, tous ces marchands partaient. Sans se retourner.

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19 mars 2018 1 19 /03 /mars /2018 19:00

Le vieillard grimaçait. On le transporta à grande peine sur un lit de fortune. Son visage, émacié, révélait des traces de coups et quelques coupures. Ses camarades pouvaient marcher mais chacun semblait éprouvé par la lutte, la fuite et la peur. Dans ce village où on les avait recueillis, ils osaient à peine respirer, craignant de révéler leur position par ce réflexe anodin. Autour d’eux, les villageois s’activaient et, pris dans les bras de cette foule tendre, le petit groupe se laissait soigner et réconforter.

La nuit leur avait fait du bien. Levés aux aurores, ils regardèrent vers les montagnes pour tenter d’apercevoir leurs tourmenteurs. Mais rien ne parut, hormis les bruits habituels : chants des oiseaux, murmure du vent. Rassérénés, ils se retrouvèrent dans la maison communale où on les avait installés pour la nuit. Il leur fallait décider d’un plan d’action. Mais chacun, dans la maison, redoutait de nouvelles punitions.

Des réfugiés d'intérêt
Des réfugiés d'intérêt

Ils sortirent en fin de matinée. Le maire et quelques habitants les attendaient, d’ailleurs, sur la place où se tenait le marché. Loqueteux, ils conservaient malgré tout une certaine prestance et leur démarché assurée montrait que les événements de la veille avaient été oubliés. Sitôt qu’ils furent assis, on leur posa mille et une questions. Leurs noms, leurs âges, la nature des relations qui les liaient, leur pays d’origine, la raison de leur venue, la raison des coups qu’on leur avait portés, la qualité du repas qu’on leur avait servi, la tendresse de la paillasse de la nuit.

Des réfugiés d'intérêt
Des réfugiés d'intérêt

Ils commencèrent par se présenter. Leurs voix, faibles, surmontaient à peine le tohu-bohu d’excitation qui montait au fur et à mesure qu’autour d’eux, c’est tout le village qui se rassemblait. Le maire, d’ailleurs, dut faire preuve d’autorité, et d’un énergique chut bon sang, fit taire jusqu’aux plus échauffés. Quand le silence fut établi, ils consentirent à poursuivre leur récit. Ils venaient des vallées d’alentour, c’était des montagnards, comme ces villageois, des gens qui avaient appris à vivre dans les rigueurs de l’hiver et, parfois, dans celles de la misère.

Des réfugiés d'intérêt
Des réfugiés d'intérêt

Ils admettaient vivre à la ville mais la vie n’y était pas forcément plus facile. S’ils venaient ici, c’était pour alerter. Si on les avait molestés, c’est que la menace qu’ils annonçaient trouvait des partisans dont la force et le nombre étaient terrifiants. Quoi ! N’en avait-on donc jamais entendu parler dans ce village ? Samoëns était donc à ce point isolé que les nouvelles qui lui parvenaient étaient d’un autre âge ? Ce dont le groupe voulait parler, bien-sûr, c’était de l’annexion.

Des réfugiés d'intérêt
Des réfugiés d'intérêt

Les villageois ouvrirent de grands yeux. La France ! La France voulait annexer la Savoie. Bien sûr, il y aurait une consultation, évidemment on compterait les votes. Mais le destin de la Savoie, et par conséquent de Samoëns, n’était pas d’être annexée, envahie, oubliée dans le grand pays français. Non, le plus naturel, c’était la Confédération, les cantons amis, les liens indéfectibles de l’économie, le partage d’un même espace de vie.

Des réfugiés d'intérêt
Des réfugiés d'intérêt

D’abord hésitants, les habitants crièrent, comme un seul homme, oui ! Oui à la confédération, à la Suisse, à la signature de la pétition que devant leurs yeux on présentait. Dans la liesse, les yeux du vieillard s’embuèrent de larmes. Au travers d’elles, cependant, il aperçut, au loin, une forme mouvante qui venait à eux. C’était leurs poursuivants, leurs bourreaux ! Dirigés par la clameur, ils venaient régler son compte à l’option suisse. Et les villageois, encore à leur euphorie, ne surent jamais où les confédérationnistes étaient partis.

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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 19:00

La cloche venait de sonner. Un à un, les ouvriers abandonnèrent leurs outils et, pour certains, remirent leurs haut de corps qu’ils avaient, le temps d’un après-midi, abandonné dans un coin de l’usine. Visiblement, l’assourdissant tintement de métal avait eu sur leurs corps un effet bénéfique : ils souriaient ou s’interpellaient à haute voix, quelques-uns trottinaient même pour rattraper un ami pour reprendre la conversation là où, à midi, ils l’avaient laissée.

En sortant de l’usine, ils retrouvaient les couleurs, et surtout la lumière, de la Loire. Le fleuve se jetait à quelques kilomètres de là dans l’océan et une poignée de bateaux montrait la voie. Après des heures passées dans les ateliers, ils sentaient sur leurs dos la douce caresse de la brise, et ils entendaient le cri des sternes. L’un d’eux avait dit un jour que ces oiseaux annonçaient simplement leur fugace liberté à eux, les hommes.

D'un bateau à l'autre
D'un bateau à l'autre

Aux chantiers, chacun avait sa tâche dans la construction des bricks, des trois-mâts et des goélettes. Les plus qualifiés, les plus estimés, aussi, par la direction, travaillaient aux bateaux à voile. Ceux-là étaient envoyés à la marine marchande et aux armées, et ainsi c’était un peu de leur simplicité et de leurs savoir-faire qui sillonnaient les mers. Quelques jeunes, parfois, à peine arrivés aux chantiers, mettaient, c’était le cas de le dire, les voiles pour s’engager sur l’un de ces grands voyageurs. On ne les revoyait jamais.

D'un bateau à l'autre
D'un bateau à l'autre

À quelques dizaines de mètres des chantiers, la troupe commença à se séparer. Un bon quart se rendait au troquet voisin où, connaissant le patron, ils augmentaient l’ardoise qu’en fin de mois, il leur faudrait payer. Ceux-là étaient déjà gais et un nombre non négligeable sortirait ivre de l’établissement, rentrant tardivement de leur escapade pour trouver une maison obscure et endormie. Quant aux autres, c’est vers le quai qu’ils se dirigeaient. La Loire les attendait.

D'un bateau à l'autre
D'un bateau à l'autre

Le roquio comptait déjà quelques passagers quand ils embarquèrent. Ouvriers, comme eux, des usines et ateliers du nord du fleuve, vendeuses de tout et de rien, gamins que le personnel laissait parfois monter sans rien payer. À eux seuls, ceux des chantiers navals remplirent le bateau. Celui-ci, ils ne l’avaient pas construit. C’était l’œuvre d’autres camarades de la région parisienne. Ils l’avaient baptisé Trentemoult, du nom du port où tous, dans ce vapeur, habitaient.

D'un bateau à l'autre
D'un bateau à l'autre

Le bateau commença sa courte traversée. Derrière la cheminée qui crachait des vapeurs noires, le capitaine distinguait à peine les courants. Expérimenté, il conduisait d’une main sûre ses passagers et évitait les pièges insidieux que le fleuve révélait. Accoudés au bastingage, les ouvriers du chantier en profitaient pour fumer et raconter leur journée. Parfois ils plaisantaient, parfois ils ruminaient des vexations que leur avait fait subir le contremaître. Quant à se plaindre, ils ne le faisaient jamais.

D'un bateau à l'autre
D'un bateau à l'autre

Quand ils débarquèrent, la marmaille les attendait. Derrière ce monde qui se retrouvait, le soleil faisait encore scintiller les ondes redevenues calmes, cependant que le cœur de Nantes, tout près, s’éteignait dans un doux murmure. A Trentemoult, chacun se dispersa pour retrouver son chez-soi. Aux maisons, quelques fleurs suspendues jetaient un peu de joie dans un quotidien passé dans l’obscurité et le bruit. Le lendemain, un dimanche, les Nantais arriveraient tôt.

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7 mars 2018 3 07 /03 /mars /2018 19:00

Jamais le señor Bouchard n’aurait cru Guillermo capable de pareille chose. Gisant dans son sang, il éprouvait une douleur terrible à l’abdomen. Y portant les mains, il sentit dans le creux de ses paumes et au bout de ses doigts une sorte de tube chaud et gélatineux, qu’il sut immédiatement être ses entrailles. Le señor Bouchard essaya d’appeler à l’aide mais du sang obstrua soudainement sa gorge et il commença à s’étouffer.

Avec peine, il gardait les yeux ouverts et, bientôt, il eut ses premières visions. Il revoyait la mer. Une mer bleue, et calme, et sur laquelle un soleil irradiant projetait des milliers d’éclats dorés, signaux superbes qui annonçaient pourtant le danger des flots. Cette mer, c’était chez lui. Il pensait : chez moi, et il pensait à l’Argentine. Puis il se souvint. Chez moi : en Provence. Chez mes parents, à Bormes.

En fin de course
En fin de course

Les souvenirs affluaient : la jeunesse sur les bateaux de pêche, les premiers rayons du soleil, à l’aube, qui réchauffaient les corps tandis que l’on essaie de deviner la position des bancs de poisson. Le señor Bouchard s’était ensuite engagé dans la Marine, avait bourlingué sur d’autres mers, avait connu intimement la Méditerranée, l’Atlantique et la Manche, et encore la mer des Caraïbes, et celle des Sargasses.

En fin de course
En fin de course

Il avait fait escale dans des ports où son accent intriguait. Aussi, il avait vu des mers grises comme le ciel. Il avait vu des îles merveilleuses dont la terre et les arbres donnaient des fruits délicieux. Dans d’autres ports, il parlait pour les autres une langue étrange et son accent, comme ses mots, ne voulaient plus rien dire. Naturellement, il avait aussi combattu.

En fin de course
En fin de course

D’abord le sang anglais puis le sang espagnol s’étaient mêlés à l’eau saline en même temps que le sien, français, avait épousé celui d’une Argentine. Il revoyait maintenant ses premières amies, fugaces amours, avec lesquelles il se cachait au creux des rues et des maisons colorées. En ce temps-là, il parcourait son tendre village, centre du monde, entre saint Trophyme et saint François, ne songeant à quitter ni ses ruelles escarpées, ni son vieux château ruiné, ni l’énorme massif forestier qui l’entourait.

En fin de course
En fin de course

D’une révolution à une autre, ses idéaux n’avaient pas changé. De sa première patrie, il n’avait gardé que le bleu et le blanc, délaissant le rouge dont son poitrail était présentement maculé. De la guerre à laquelle il avait consacré sa vie, il avait retiré gloire, honneur et fortune. Il avait espéré se retirer en paix dans sa sucrerie. Las, sa position de moribond témoignait de son échec et son assassinat par l’un de ses gens devenait une marque d’infamie.

En fin de course
En fin de course

Le señor Bouchard mourait. Loin de son pays, il se vidait de son sang. Une dernière fois, Bormes lui apparut. La même image, toujours, le hantait : de retour de la pêche avec son père, arrêtés tous deux à l’ombre de l’église et d’un vieil arbre, les deux hommes scrutaient les affaires qui se faisaient dans la rue. Le sang du señor continuait de couler. Il était trop tard pour les regrets.

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1 mars 2018 4 01 /03 /mars /2018 19:00

La tension était palpable. Comme un linge humide qui colle à la peau et dont on se déferait avec peine, la lourde ambiance gênait jusque dans les mouvements de la cinquantaine de personnes présentes ce jour-ci. Nul, dans la grande salle, n’osait à présent ouvrir la bouche. On respirait en silence, aspirant quelques goulées d’air pour survivre à l’angoisse et on expirait doucement en gardant les yeux bien ouverts, de crainte de manquer quoi que ce soit.

Au centre de la grande pièce lambrissée, deux hommes se faisaient face. Leurs visages tendus exprimaient tout l’irrespect qu’ils avaient l’un pour l’autre, malgré les mots d’amitié qu’ils avaient échangés quelques heures plus tôt. Entre eux se tenait le roi. Son visage doux, presque enfantin, passait de l’un à l’autre tandis que, de ses deux mains blanches, il s’agrippait aux épaules, comme un bambin s’accroche à son père. Personne ne parlait. Coligny et Guise ne se lâchaient pas du regard.

Le faux baiser
Le faux baiser

Derrière le roi, sa mère se tenait immobile, elle aussi. Vêtue d’une grande robe de velours noir, elle scrutait la scène avec une attention particulière, et quelque observateur avisé aurait constaté qu’un rictus déformait légèrement ses lèvres. Elle savourait sa manipulation, son sens des affaires politiques, ses talents de persuasion et son indéniable autorité. Elle, descendante de banquiers italiens et de podestats tout-puissants, avait réuni là les deux meilleurs ennemis du royaume.

Le faux baiser
Le faux baiser

L’époque, alors, était à la guerre. On discutait de théologie à coups de canons, on refusait l’autorité d’un pape en jouant de l’épée. Depuis un demi-siècle, depuis qu’un moine allemand avait placardé sur les portes d’une église les reproches qu’il faisait à une autorité quasi divine, on bataillait et on s’entretuait entre les tenants de la vieille religion et ceux de la nouvelle, réformée. La guerre, certes, ruinait le royaume ; mais tant qu’elle ne ruinait pas le camp adverse, on ne voyait pas de raisons de l’arrêter.

Le faux baiser
Le faux baiser

Certaines morts, cependant, importaient davantage. Ainsi en allait-il du père de Guise, tué par le feu et par lâcheté, et peut-être aussi par l’entremise d’un homme qui se tenait présentement dans la grande salle de l’hôtel du roi, et à qui faisait face le fils du duc de Guise, duc lui-même. La guerre, disait-on, n’avait que trop duré et le royaume réclamait ses forces vives pour se relever, tel un vieil homme qui a besoin de béquilles ; mais celles-ci, depuis une dizaine d’années, ne cessaient de se dérober.

Le faux baiser
Le faux baiser

La noble foule attendait désormais un geste du roi. Ce dernier paraissait serein et, de façon étonnante, aucune fatigue ne se lisait sur le visage du jeune homme qui, depuis deux ans, parcourait son royaume du sud au nord et de l’est à l’ouest. Arrivé à Moulins un mois plus tôt, il alliait les plaisirs de la cour à une curiosité grandissante pour le droit et les ordonnances, respectant toutefois la rigoureuse morale que sa mère tenait à maintenir dans son entourage. Scrutant les deux hommes qui étaient devant lui, bientôt il leur ordonna de s’embrasser.

Le faux baiser
Le faux baiser

Sans ces paroles, jamais les lèvres de ces fiers chefs de guerre ne se seraient effleurées. Mais, contraints et se sachant observés, ils eurent le même mouvement, en même temps, et se surprirent l’un l’autre à trouver si vite la bouche honnie. A ce spectacle, la salle applaudit. On proclamait la paix entre les hommes et entre les religions. Le roi, lui, se déclara satisfait et, jetant un œil vers sa mère derrière lui, vit qu’elle approuvait aussi. Guise et Coligny s’inclinèrent mais, se fixant un instant tandis qu’ils étaient courbés, se jurèrent que la paix ne se ferait pas avant des années.

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 19:00

D’abord, il place sa toile sur le chevalet. Des deux mains, il la dépose puis il recule et, constatant un défaut de lumière, entreprend d’entrouvrir la porte de la maison. Puis il s’approche de la table où est posé son matériel : les pinceaux fraîchement lavés, les peintures à peine constituées, quelques chiffons. De sa main droite, il prend la mine de plomb et commence son esquisse. Sur la droite de la toile naissent une épaule, une tête un peu penchée et deux mains fines et blanches.

Sans cesse, il recule pour s’assurer que les proportions et l’équilibre sont respectés. Le trait est sûr ; il n’y revient pas. Après avoir placé son personnage, Johannes meuble la pièce. Deux tableaux, l’un sur le mur du fond, l’autre sur le mur de gauche. À côté de ce dernier, les contours d’une fenêtre que l’on devine. Puis, devant cette femme encore fantomatique, une table lourde, massive, d’un bois qui ne craint aucun travaux, aucune blessure. Et, entre les doigts de la jeune femme, à peine visible dans cette sombre ambiance : une balance.

En équilibre
En équilibre

Il prend un pinceau. Il compose une couleur : un bleu nuit. On le bouscule. Il se retourne et crie. C’est son aînée. Il la réprimande. Puis il reprend son pinceau. S’apprête à effleurer pour la première fois cette toile encore blanche. Deuxième bousculade. C’est sa deuxième fille, qui court après sa grande sœur. Il crie, il réprimande. Il réclame de la paix. Johannes ne veut pas être dérangé. Il doit peindre, il veut peindre. Qu’on ne le touche pas. Quant aux cris des enfants, il ne peut pas les empêcher.

En équilibre
En équilibre

Une heure durant, on le laisse tranquille. Son épouse a réprimandé les enfants. Elle leur a intimé de jouer en silence. Johannes peint. Comme un funambule, il bondit de couleur en couleur, délaisse un bleu pour un jaune, soigne le blanc, détaille les bruns, nuance les gris du fonds. Dans son esprit, tout est net mais sur la toile, cela manque encore de finesse, de détail, de vie. Aux endroits difficiles, il plisse les yeux, s’applique, se penche vers son œuvre qui n’en a pas encore le nom ni le titre. Et puis, on le bouscule.

En équilibre
En équilibre

Une autre de ses filles et l’un de ses fils se tiennent à ses jambes. Ils sont encore jeunes. Ils lui demandent ce qu’il fait. Il leur explique. Avec douceur. Il leur dit qu’ils peuvent rester avec lui, à condition de ne pas bouger, de ne rien déranger ni de le tirer par les vêtements. Et surtout, à condition de ne pas s’approcher de la toile. Le petit demande qui est la dame. La petite dit qu’elle est jolie. Qu’elle lui fait penser à la femme du bijoutier, de l’autre côté de la rue. Johannes sourit.

En équilibre
En équilibre

Son épouse entre dans la pièce. Elle est étonnée de l’avancée du tableau. A côté d’elle, il y a sa mère, qui vit avec eux depuis quelques années. A dire vrai, c’est eux qui vivent avec elle, car la maison lui appartient. Elle a quitté Gouda pour Delft, elle a aidé ce jeune couple aux enfants innombrables, elle admire son gendre qui rend si bien l’éclat du jour sur les visages. Elle aime la sérénité qui se dégage de ses tableaux, cette tranquillité que la maisonnée ne connaît point. Elle demande quand cela sera fini.

En équilibre
En équilibre

Il répond qu’il ne sait pas. Que ce sera terminé quand on le laissera travailler. Dans la petite pièce, tout le monde comprend, tout le monde se retire. Sauf ses deux petits. Ils se taisent. Johannes ferme les yeux. Il essaie de se souvenir : des tissus, de la boutique de son père, des drapés, des sensations au toucher. D’autres choses de son enfance lui reviennent en mémoire : bonnes ou mauvaises. Et, de ses souvenirs, il habille son fantôme. Sa femme à la balance.

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17 février 2018 6 17 /02 /février /2018 19:00

Pas le choix : il devait demander. Déjà il commençait à transpirer à l’idée de s’adresser à un ou une inconnue. Il répéta une phrase dans sa tête, la murmura pour s’assurer de sa prononciation. Un peu rassuré, il entra dans l’immense cité universitaire internationale dont il avait tant rêvé, là-bas, dans son pays. Il regarda une première bâtisse, géante et blanche aux liserés de brique, à sa droite : comme une manière de prendre son temps avant le moment fatidique.

Il longea ensuite les terrains de sport qui, à cette heure matinale, étaient encore déserts. Faux, pensa-t-il : quelques athlètes, au loin, s’entraînaient déjà, et, sous les maillots, les muscles saillants le renvoyaient à sa propre maigreur. Il était une ombre qui se faufilait dans l’air frais des premières heures du mois de septembre. Ce qu’il voulait, c’était savoir où il logerait, où se trouvait la maison des étudiants de son pays, et quel serait l’agenda intellectuel qui rythmerait ses semaines parisiennes.

Difficile de dire
Difficile de dire

Il aperçut bientôt un groupe de jeunes femmes, desquelles il décida de s’approcher. Naturellement, sa timidité était encore plus grande avec le beau sexe et, déjà, il rougissait. Son émoi devenait si fort que ses mains se mirent à trembler et son souffle court, saccadé, lui donnait, au mieux, l’air de quelqu’un qui venait de courir, au pire l’allure d’un pervers. Il renonça finalement à aborder ce groupe et, comme par miracle, vit un jeune homme se diriger vers lui. Sa mine était sympathique : c’était l’occasion.

Difficile de dire
Difficile de dire

Hélas, l’aimable visage ne parlait que le russe. Celui qui rêvait de la cité universitaire internationale connut là son premier déboire. Si tant de nationalités se mélangeaient, une frontière demeurait : celle du langage. Les deux étudiants se sourirent, maladroits et incapables, et se quittèrent. La tâche s’annonçait plus compliquée que prévu. De nouveau il erra entre les bâtiments, chacun représentant une nation, chacun exaltant l’âme et le caractère d’une terre qui, même ici à Paris, était étrangère.

Difficile de dire
Difficile de dire

Pour l’avoir lu dans une encyclopédie, il savait que l’on avait fait appel à de grands noms de l’architecture pour modeler chacun de ces pavillons. Il se souvenait de certains d’entre eux, et s’égayait quand il identifiait une œuvre à son créateur. Il en était à ses rêveries : moyen d’échapper à la situation : seul dans une Babel immense, quand il entendit soudain un mot familier. Oui, on aurait dit sa langue qui était parlée. Très vite, il localisa l’émetteur de ces sonorités salvatrices : il se précipita auprès de lui.

Difficile de dire
Difficile de dire

Sans attendre que l’autre ait fini sa tirade, il se présenta et demanda, après s’être excusé de sa hardiesse, tout ce qu’il avait à cœur de savoir. L’autre le regarda, éberlué, se tourna vers un condisciple que le désespéré n’avait pas vu, et affirma n’avoir compris un traître mot. Alors, le rêveur, le pusillanime, le solitaire, répéta plus calmement mais l’autre, visiblement, ne comprenait toujours pas. Le compagnon, qui s’était tu jusque-là, finit par éclater de rire. Laissant là l’infortuné, ils partirent.

Difficile de dire
Difficile de dire

La matinée durant, il marcha dans la cité. Inlassablement, abandonnant toute gêne, il abordait tous ceux et toutes celles qu’il croisait. Il désespérait de n’être point compris, en français ou dans son propre idiome. Il vint un moment où, dans les yeux de son interlocuteur, il vit une lueur : mais alors il entendit des reproches quant à son accent qui rendait, c’était terrible, son propos incompréhensible. L’après-midi et le soir passèrent, la nuit tomba. Et, répétant sans cesse les questions qui le taraudaient, il errait et inquiétait comme un fantôme avec lequel nul ne peut communiquer.

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 19:00

Cristoforo, ou Cristobal, comme la majorité de ses compagnons l’appelait, posa une nouvelle fois le pied sur une terre vierge. Ainsi qu’il l’avait fait lors de son premier voyage, il s’écroula sur la plage, mais ce n’était pas de soulagement cette fois-ci : la fatigue l’assaillait déjà. Il resta un moment ainsi, ses mains agrippant le sable chaud, et noir, puis il redressa la tête et, avec peine, prenant appui des deux mains sur ses genoux, se releva tout à fait.

Cinq ou six marins étaient déjà descendus de la chaloupe. Ils l’avaient laissé à son état prostré et avaient commencé à explorer cette côte encore inconnue. Jetant un regard en arrière, Cristobal vit leur embarcation tanguer doucement, soulevée sans cesse par des vaguelettes qui terminaient leurs courses sur ses bottes de cuir mouillé. La barque représentait le lien avec la caravelle, le fil qui unissait ceux qui marchaient sur la terre ferme, mais isolée, avec la lointaine Espagne.

Encore pur
Encore pur

Trois nouvelles chaloupes parsemaient maintenant le paysage marin. Cristobal, chef de l’expédition, regarda à sa gauche. Une montagne obstruait le ciel et, autour de sa masse d’un vert sombre, quelques blancs nuages dansaient. A sa droite, la plage s’étirait à l’infini mais les quatre caravelles avaient déjà reconnu les côtes et l’île ne devait avoir qu’une dizaine de lieues nautiques de long, et probablement moins de la moitié pour la largeur. Cette terre était finie : ce ne pouvait donc être l’Asie.

Encore pur
Encore pur

Tandis que Cristobal jaugeait cette nouvelle et éphémère conquête, plusieurs de ses hommes revinrent vers lui. Ils n’avaient aperçu aucun homme, ni aucune femme, et n’avaient décelé nul signe qui trahit d’ordinaire d’inquiétantes présences. Cependant, en bordure de forêt, plusieurs carbets étaient dispersés. Bien qu’ils fussent vides, il n’y avait aucun doute qu’ils appartinssent à des occupants qui, dès lors, pourraient revenir.

Encore pur

Déjà, lors de chacun de ses trois premiers voyages, l’Amiral Colomb avait vu ce type d'habitat sur les rivages. C’était des constructions simples bâties de bois et recouvertes de palmes. Elles servaient tantôt d’habitations, tantôt d’abri contre la pluie. Les indigènes s’y reposaient également après la pêche. Cristobal regroupa ses hommes autour de lui ; il craignait que des affrontements, qu’il avait connus sur d’autres îles, n’éclatassent si des indigènes apparaissaient. Il constitua trois groupes et les envoya prospecter dans une direction précise. Ce qu’il fallait en priorité, c’était des vivres.

Encore pur
Encore pur

Cristoforo resta seul sur la plage. Par précaution, il ne s’éloigna pas du rivage, ne voulant pas être pareil à celui qui, lors de son deuxième voyage, avait été capturé par ces hommes hostiles, mangeurs de chair humaine, et dont on avait retrouvé l’effroyable dépouille quelques jours plus tard. Il songeait à ses voyages précédents. L’espoir, la fierté et puis l’attente, les jours et les nuits qui se succèdent, la lune qui se décompose puis se recompose, les doutes, la peur, les intestins serrés à chaque fois qu’il se réveillait, la colère contre les compagnons qui ne comprennent pas, les coups de sang contre ceux qu’il faut remettre dans le droit chemin.

Encore pur
Encore pur

C’était son quatrième voyage. Ce serait probablement le dernier. La chance ultime de trouver le chemin vers l’Asie. L’opportunité formidable et pourtant si mince de mettre la main sur des richesses sans fin. Cristobal savait son crédit entamé à la cour. Il savait les appétits qu’il avait aiguisés chez d’autres que lui : marins, hidalgos, aventuriers. Il avait entraîné derrière lui une meute d’affamés qui, dorénavant, étaient prêts à le dévorer. Bientôt, un cri le tira de son rêve. Ses compagnons, les bras chargés de fruits, revenaient enfin.

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  • : Récits de voyage, fictionnels ou poétiques : le voyage comme explorateur de la géographie et de l'histoire.
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