Tandis que dans un petit bureau d'un hôtel de ville landais, un maire sortait et rentrait, inquiet, sa montre à gousset, à une cinquantaine de kilomètres au sud, quelques badauds levaient leurs visages vers le ciel. Massés sur la plage, ils n'entendaient que le ressac de l'océan et les cris habituels des oiseaux : mouettes, sternes, goélands. Ceux qui les rejoignaient, par but ou par hasard, les imitaient. Et tous de scruter ce bleu, vide et géant.
Un garçonnet, quelque part dans la foule désormais plus importante, s'agita. Son père, d'abord, furibard du bazar que mettait son benjamin, s'accroupit à ses côtés et lui intima l'ordre de faire moins de bruit. Ce que fit immédiatement le garçon. Mais à la surprise du père, son fils lui plaquait maintenant la main sur la bouche pour qu'il écoute. Et le père entendit. Aussitôt il se releva et lança à la cantonade qu'il fallait maintenant se taire. Comme il était imposant, on l'écouta.
D'abord, un homme : c'était un bourgeois, qui transpirait sous son chapeau et exhalait une forte odeur de tabac froid, se gaussa de l'impertinence du colosse. Il n'y avait rien à écouter et, d'ailleurs, rien à voir, et ainsi il invitait sa compagne : une élégante, robe de soie rose, mais empestant elle aussi, à s'en aller. Cette dernière le fit taire d'un regard, car elle avait horreur qu'il les donne en spectacle. Et ce d'autant plus qu'un vrombissement agaçait maintenant leurs oreilles.
Bientôt, tous et toutes pointèrent l'index sur un étrange objet noir qui venait vers eux. L'objet volait mais perdait de l'altitude. C'était eux. Partis de la lointaine Amérique, ils avaient traversé l'immensité atlantique et paraissaient devoir se poser, dans ces Landes remarquablement chics, sur la commune de Mimizan. Les plus vifs aussitôt réfléchirent : où diable cet oiseau-là pourrait-il bien se poser ? Comme tout le monde avait une idée, et que chacune était différente et défendable, on décida, sans le dire, de suivre la trajectoire de l'appareil.
La foule, compacte, se déplaça tel un seul homme. Ce monstre aux mille bras et aux mille jambes avalaient sur son passage ceux qu'il croisait, grossissant ainsi de minute en minute, gagné par une excitation qu'attisait encore le ronflement du moteur, amplifié par l'approche de l'avion. Celui-ci finit par se poser dans une clairière et à l'abri, pour quelques minutes, du monstre qui approchait. Quatre hommes en sortirent : trois seulement étaient attendus.
Trois Français, donc, et un Américain qui, tel le lapin du haut de forme de l'illusionniste, avait bondi de sa trappe en pleine traversée océanique. Les trois hommes étaient reclus de fatigue, perclus de crampes, harassés. Ils virent soudain débouler une centaine d'hommes et de femmes, joyeux et braillards, applaudissant pour certains, tous poussant des vivats. Entourés, pris au piège de la bonhomie et de l'accueil franchouillard, les trois marins des airs durent passer de bras en bras.
Ils subirent également les embrassades viriles où la transpiration des joues et l'irritation causée par les moustaches étaient imposées par la vénération dont ils faisaient l'objet. Sans protester ils se laissaient faire, répondant aux innombrables questions qu'on leur posait, rougissant aux œillades de quelques demoiselles par l'exploit échaudées. Puis, annoncèrent-ils, il leur fallait repartir. Car à une cinquantaine de kilomètres au nord, dans un petit bureau d'un hôtel de ville landais, un maire, sa montre à gousset à la main, les attendait.